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qu’une ville déshonorée. Ils ne cessent de s’escrimer contre les conservateurs, qu’ils accusent de s’être alliés à M. le général Boulanger, de s’être faits les auxiliaires du candidat de la dictature. D’abord les conservateurs n’ont pas eu visiblement un rôle aussi décisif qu’on le dit dans le scrutin du 27 janvier; s’ils avaient pu décider de l’élection, ils auraient probablement choisi un autre candidat. Au lieu de se perdre en récriminations stériles, de faire la confession des autres et d’accuser tout le monde, les républicains feraient beaucoup mieux de s’interroger eux-mêmes et de faire leur propre confession. Ils feraient mieux de reconnaître que, s’ils ont décidé au dernier moment le coup de théâtre du 27 janvier par une fausse manœuvre électorale, ils préparent cet étonnant réveil des idées de dictature depuis dix ans par une série d’excès, par toute une politique. On ne peut se lasser de le redire, parce que c’est une vérité plus criante que jamais. Cette fortune devenue irritante, menaçante, elle est leur œuvre. Ce sont les radicaux qui ont conduit l’élu du 27 janvier au ministère de la guerre, qui l’ont soutenu, même quand sa présence devenait un danger, même, quand il n’était plus d jà qu’un soldat indiscipliné. Ils lui ont fait son rôle et ont ouvert la voie à son ambition. S’il y a dans le pays tous ces mécontentemens, ces dégoûts, ces irritations, ces mécomptes qui ont fini par se tourner vers M. le général Boulanger et lui ont fait une armée jusque dans Paris, ce sont les républicains, les radicaux qui seuls, par leur politique, ont créé cet état moral où tout est devenu possible. M. le général Boulanger est leur œuvre, leur création : ils ne peuvent le regarder sans voir en lui l’image vivante et ironique de leurs fautes. C’est le gouvernement avec ses vexations et ses procédés désorganisateurs, c’est la chambre avec son impuissance et ses agitations stériles, ce sont tous les complices de la politique de dix ans qui ont été les premiers et grands électeurs du 27 janvier !

Que des conservateurs poussés à bout aient pu aller, comme d’autres, grossir l’armée des mécontens et porter leurs voix à M. le général Boulanger, c’est possible, c’est même vraisemblable. C’est, dans tous les cas, de leur part une dangereuse impatience ; mais enfin, de bonne foi, qu’ont fait les républicains pour rassurer et rallier tous ces conservateurs, dont l’alliance ne leur serait peut-être pas inutile aujourd’hui? Ils n’ont cessé de les traiter en ennemis, de les offenser, de les exclure, sans prendre garde qu’ils offensaient et qu’ils excluaient près de la moitié du pays. Toutes les fois qu’une occasion s’est présentée où les républicains auraient pu, dans un intérêt public, renouer quelque intelligence utile avec les conservateurs, ils se sont refusés aux plus légères concessions. Ils ont prétendu maintenir leurs lois de parti, leurs procédés exclusifs de gouvernement, leur politique de vexations religieuses et de déficit dans les finances, toujours arrogans, toujours également satisfaits. M. Jules Ferry lui-même proclamait récemment