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embrassera toute l’Allemagne. Si les rois de Bavière, de Wurtemberg font des difficultés, s’il leur répugne d’accepter la suzeraineté d’un roi de Prusse, quelques obligations qu’on leur ait, quelque assistance qu’on ait tirée d’eux, on pèsera sur eux pour les décider, et, s’il le faut, on emploiera la menace, la contrainte. Assuré de la parfaite droiture de ses intentions, de la sagesse de ses conseils, et certain de travailler au bien de tous, il ne craindra pas de faire aux hommes et aux choses une douce violence, et il sait d’avance que les peuples applaudiront, car l’empire qu’il entend fonder sera un empire libéral, doté d’un gouvernement à l’anglaise et d’un ministère responsable, qui ne sera jamais en conflit avec le parlement. « Nous aurons aussi une chambre haute, se disait-il, et nous y ferons siéger les rois et les grands-ducs. Pour les consoler des sacrifices que nous leur demandons, nous les ménagerons beaucoup; on peut tout sauver par de bons procédés. Nous n’aurons garde de nous ingérer dans leurs petites affaires domestiques, dans leurs questions de ménage. En Allemagne, ils ne seront que des pairs; dans leurs états, ils resteront souverains, et nous nous appliquerons si bien à transformer notre vieux cœur prussien en un jeune cœur allemand qu’ils ne verront plus en nous des étrangers, des intrus et des maîtres; et ainsi les rois, les peuples, nous-mêmes, tout le monde sera content. » Telle était l’Allemagne nouvelle et aussi glorieuse qu’aimable qu’il apercevait déjà à travers la fumée des champs de bataille.

On ne lui disait rien ; il prit sur lui de parler, d’interroger, et il découvrit tout de suite combien l’omnipotent conseiller de son père était peu disposé à entrer dans ses vues. Les explications furent vives, la querelle fut chaude, mais d’avance il avait perdu son procès. Il tenta vainement de faire goûter au chancelier ses généreux projets, de le réconcilier avec cet empire libéral qui devait rendre tout le monde heureux. Si son rêve avait pu s’accomplir, il y aurait eu en Allemagne un homme très malheureux, et cet homme a toujours regardé ses malheurs personnels comme des infortunes publiques. On croira sans peine que le chancelier songeait, lui aussi, à tirer parti de la victoire pour réunir toute l’Allemagne sous l’hégémonie prussienne, pour imposer à la Bavière, au Wurtemberg comme à Bade, les mêmes conditions qu’avait acceptées la Saxe dès 1866. Mais il entendait que cet empire allemand ne fût que la confédération du Nord agrandie, qu’on ne fit à la constitution que d’insignifiantes retouches. Cette constitution autoritaire était son œuvre, et son œuvre lui était infiniment chère. Il avait dépensé une prodigieuse activité et autant d’industrie que d’éloquence pour la faire accepter par le Reichstag constituant. N’avait-on pas dit dès ce temps que cette constitution avait été faite par un homme et pour un homme?