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d’une brochure de polémique, « pour lui faire expier une partie des crimes qu’il avait commis. » Il lui reproche dans ses mémoires « de s’être déclaré, plus ouvertement que ne pouvait un homme sage, ennemi du temps présent, d’avoir caressé des espérances imaginaires d’une république qu’il formait selon le dérèglement de ses pensées, de décrier le gouvernement, de rendre la personne du prince contemptible, les conseils odieux, et de chercher de beaux prétextes pour troubler le repos de l’état. » Foncan fut condamné à l’emprisonnement perpétuel. Il n’a pas tenu à M. de Bismarck que M. le professeur Geffcken, qui n’est pas un libelliste comme Foncan, ne mourût en prison ; mais la cour de Leipzig, tout en reconnaissant qu’il avait commis le crime dont on l’accusait, n’a pas jugé qu’il eût eu conscience de la culpabilité de ses actes, et, au vif déplaisir du chancelier, elle a rendu un arrêt de non-lieu.

Sans avoir jamais été fort en vue, M. Geffcken a toujours été considéré par ses nombreux amis comme un homme de valeur, d’une grande instruction, d’un mérite sérieux et solide. Ce docteur en droit a passé de longues années dans la diplomatie et dans l’enseignement supérieur. Après avoir séjourné d’Berlin comme chargé d’affaires de la ville de Hambourg et comme ministre résident des cités hanséatiques, il exerça les mêmes fonctions à Londres. En 1872, il fut appelé à professer le droit public à l’université de Strasbourg; il prit sa retraite dix ans plus tard et retourna dans sa ville natale. M. Geffcken est à la fois un universitaire et un piétiste, et il joint aux opinions doctrinaires la goût des petites chapelles, Publiciste fécond, il a écrit de nombreux articles dans les revues, dans les journaux, et publié plusieurs ouvrages. Il n’y fait pas mystère de ses préférences ni de ses antipathies; mais il a l’esprit posé, le style grave et mesuré. Il n’appelle jamais un chat un chat ni Rollet un fripon. Il aime à envelopper ses allusions, ses épigrammes, et sa malice, un peu sournoise, ne mord pas jusqu’au sang, elle épluche, égratigne et pince. Je connais deux de ses livres, et je puis certifier que ni dans son intéressante histoire diplomatique de la guerre de Crimée, ni dans ses études sur le Kulturkampf, on ne peut trouver un seul passage qui dénote une imagination déréglée ou le secret dessein de rendre la personne du prince contemptible et de troubler le repos de l’état.

Dans son acte d’accusation, le procureur impérial présente M. Geffcken comme un ambitieux infatué de son mérite, rêvant de jouer un grand rôle politique, cruellement trompé dans ses espérances et aigri, exaspéré par ses déceptions. Ceux qui l’ont connu et pratiqué se persuaderont difficilement que, quel que soit son mérite, il ait sérieusement aspiré à remplacer M. de Bismarck, que le chancelier de l’empire ait pu voir dans ce politique d’arrière-plan un rival dangereux,