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Car d’abord, dans ces plaisanteries que j’ai déjà rappelées, et auxquelles rien ne serait si facile que d’en joindre beaucoup d’autres, — sur le Iahvé des Juifs, « une créature de l’esprit le plus borné, » ou sur le « Dieu pleureur du christianisme, » — je ne vois rien de très « religieux » pour ma part; ou même, si les Dieux sont faits dans l’histoire de tout ce qu’ils ont inspiré de tendre ou de fort à l’humanité, je trouve cette façon d’en parler assez irréligieuse. M. Renan s’égaie aux dépens du « Dieu à qui on fait de la peine, qu’on afflige en l’offensant ; » mais en s’en égayant, n’oublie-t-il pas ce que cette conception de Dieu a produit de nobles pensées, de bonnes actions, de dévoûmens héroïques? et ne craint-il pas de faire ainsi mettre en doute la sincérité de son « sens religieux » par ceux que justement il lui importerait surtout d’en convaincre? A moins encore que, sous le nom de religion, M. Renan ne veuille que nous entendions désormais quelque chose d’entièrement différent de ce que nous étions accoutumé d’entendre. Et, au fait, c’est à peu près ainsi que l’on parle aujourd’hui couramment d’une conscience inconsciente, ou d’une mémoire qui ne se souvient point, ou d’une volonté qui ne se connaît plus.

Cependant, et quoi qu’il soit d’un petit esprit, je le sais, de vouloir attacher aux mots des sens précis et déterminés, ce qu’il peut bien rester de la notion de religion quand on en a successivement éliminé, comme M. Renan, la notion du Surnaturel, celle de l’Immortalité de l’âme, et celle enfin de la Providence, — on ne le voit point. Ou du moins, je me trompe, et on le voit trop bien : il reste une adoration mystique des énergies de la nature, et, sous le nom d’idéale un sentiment plus vague et plus confus qu’élevé de la destinée future de l’espèce. Or, sur le Surnaturel, c’est-à-dire sur le miracle, qui est dans l’histoire à la base de toutes les religions, sans lequel même une religion n’est plus qu’une métaphysique, l’auteur de l’Histoire du peuple d’Israël s’est vingt fois expliqué. « On n’a jamais constaté, répète-t-il, qu’un être supérieur intervienne dans le mécanisme de l’univers. » Quant aux croyances à la spiritualité de l’âme ou à l’immortalité, ses déclarations ne sont pas moins formelles, et : « bien loin d’être un produit de réflexion raffinée, elles ne sont au fond qu’un reste de conceptions enfantines d’hommes incapables d’opérer dans leurs idées une analyse sérieuse. » Et pour la Providence enfin, M. Renan nous dit que « l’idée exagérée de Providence particulière, base du judaïsme et de l’islam,.. a été vaincue par la philosophie moderne, fruit non de spéculations abstraites, mais d’une constante expérience. » Mais, dans, ces conditions, j’aurais aimé qu’il nous expliquât ce que c’est alors que sa « religion, » et ce qu’il peut bien entendre,