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des Grecs, on a voulu que la morale chrétienne aussi ne fût que celle des philosophes païens, d’Aristote et de Platon, de Cicéron et de Sénèque. La question n’est pas de celles que l’on examine ou que l’on décide en passant. Mais ce qu’en tout cas on eût dû ajouter, c’est que la morale païenne s’était formée en s’opposant à la religion, que ses progrès ont suivi en quelque sorte pas à pas la décadence du culte, et qu’elle n’a finalement établi l’autorité de ses commandemens que sur les ruines de ses Dieux. L’originalité du judaïsme et des religions qui en sont issues, et, au sein du judaïsme, l’originalité des prophètes, ç’a été de mêler, de confondre et de solidariser dans un tout indivisible la morale et la religion.

C’est par les prophètes que la conception du Dieu particulier d’Israël s’est insensiblement transformée en celle du Dieu universel, dont le vrai temple est le cœur du juste :


Que m’importe la multitude de vos sacrifices! dit Iahvé;
Je suis rassasié d’holocaustes de béliers et de graisses de veaux ;
Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus.


C’est eux qui, débarrassant l’humanité de la rouille des vieilles superstitions, « de son sot et bas empressement à apaiser des dieux chimériques, » ont fondé le vrai culte, sur le respect de la justice et la pratique de la vertu :


Homme, on t’a dit ce qui est le bien,
Ce que Iahvé demande de toi :
Tout se réduit à pratiquer la justice,
A aimer la bonté,
A marcher humblement avec ton Dieu.


C’est par eux que la justice est entrée dans le monde, et ce monde, c’était l’ancien, si dur aux misérables, le même dont on oublie toujours, quand on en parle, qu’étant fondé sur l’esclavage, il l’était sur la force et sur l’iniquité:


Cessez de faire le mal,
Apprenez à faire le bien,
Cherchez la justice,
Aidez celui qui souffre violence,
Soyez justes pour l’orphelin,
Défendez la veuve;
Venez alors, et nous verrons, dit Iahvé.


C’est eux encore qui en des temps où « l’idée du droit existait à peine, se portant comme les défenseurs du faible et de l’opprimé,» ont élargi et humanisé les voies de la justice, pour ainsi dire, en y faisant entrer la pitié :