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le sait pas. Mais ce qu’il faudra qu’ils reconnaissent, et ce qui suffirait à prouver que M. Renan, quand on le convaincrait d’erreur dans le détail, ne s’est pas trompé sur l’ensemble, c’est la liaison, c’est l’enchaînement, c’est la correspondance de toutes les parties de son livre, et, plus encore que tout le reste, — car la contradiction n’est pas toujours marque d’erreur, ni l’incontradiction marque de vérité, — c’est son air de ressemblance avec la réalité et avec la vie. Les choses ont dû se passer comme les rapporte M. Renan, parce que, telles qu’il nous les rapporte, elles sont à la fois plus complexes et plus claires, ou encore moins simples, et par cela même plus vraies.

Je regrette pourtant, — et je ne crois pas être le seul, — que pour nous mieux faire sentir cette ressemblance avec la vie, l’auteur de l’Histoire du peuple d’Israël abuse de certains procédés et de certains rapprochemens, dont je dirais volontiers qu’ils sont d’un goût parfois assez douteux, si je n’étais encore plus frappé de ce qu’ils ont d’excessif, et, conséquemment, d’illusoire ou de faux. Non que l’usage en soit illégitime ; que, par-dessous les différences locales, il n’y ait toujours un vit intérêt à nous montrer l’humanité foncièrement identique à elle-même ; et que, parmi ces rapprochemens, il n’y en ait de tout à fait heureux, qui éclairent d’un mot toute une situation, comme par exemple quand M. Renan compare le prophète Osée « à un prédicateur de la Ligue on à quelque pamphlétaire puritain du temps de Cromwell, » ou comme encore quand il nous dit que « le premier article de journalisme intransigeant a été écrit 800 ans avant Jésus-Christ, » par le prophète Amos. Mais j’ai déjà quelque répugnance à me figurer Isaïe « sous les traits d’un Girardin, » c’est -dire d’un brasseur d’affaires, ou même « sous ceux d’un Carrel,» c’est-à-dire d’un journaliste bonapartiste et libéral du temps de la Restauration ; et, quoique n’étant pas ombrageux de nature, je crains que l’on ne se moque de moi quand on me représente les prophètes « parcourant en monome » les campagnes de la Palestine. Était-ce la peine, entérite, de reprocher si vivement à Voltaire, dans la préface du premier volume de cette même Histoire du peuple d’Israël, son « incapacité de comprendre la différence des temps ? » Et si l’on observe que M. Renan fait exprès de fausser ou de supprimer les perspectives de l’histoire, en rabattant ainsi le plan de l’histoire d’Israël sur celui de l’histoire contemporaine, alors, n’est-il pas vrai que le ton de sa plaisanterie ressemble étrangement à celui de la Bible expliquée par les aumôniers du roi de Pologne? J’en donnerais de trop nombreux exemples.

Hâtons-nous toutefois de dire que ces plaisanteries ou ces comparaisons, si elles font « l’ornement » du livre, n’en sont point la