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en notes ou en appendices, — n’est dans le livre de M. Renan que le prolongement, l’épanouissement naturel, et la fructification enfin du problème philologique. Étant posé, ou supposé, si l’on veut, que la Bible soit un livre comme un autre, c’est-à-dire auquel on puisse appliquer, pour l’étudier, les mêmes moyens que, par exemple, au Bhagavata-Pourana, M. Renan les lui applique et ne fait rien de plus. La Bible est formée d’un certain nombre de livres, — historiques, prophétiques, poétiques, etc., — et ces livres, assignés par la tradition à de certains auteurs, sont classés dans un certain ordre : le seul droit que M. Renan revendique, et qui va lui suffire pour renouveler l’histoire d’Israël, c’est celui d’examiner cette classification traditionnelle, et au besoin de la modifier. En quel temps donc ou dans quelles circonstances a été composé L’Hexateuque? en quel temps le Livre de Job? en quel temps celui D’Isaïe? ou plutôt, — car il ne saurait s’agir ici de dates précises, à quelque cinquante ou cent ans près, — étant donnés Isaïe, Job et l’Hexateuque, M. Renan ne se propose que de chercher quels en sont les rapports, et quelle en est, chronologiquement, la situation respective. Mais, réduit à ces termes, le problème, on le voit, est purement philologique. Si la philologie a en effet un sens, une raison d’être, un intérêt général, qui justifie, en le dépassant, l’objet habituel de ses recherches, n’est-ce pas de résoudre, ou de préparer pour l’avenir, la solution de semblables questions? Et les conséquences que ces solutions entraînent à leur suite, voilà presque toute l’Histoire du peuple d’Israël.

Un exemple plus moderne rendra peut-être tout ceci plus clair, et montrera du même coup que la tentative n’a rien de trop ambitieux, puisque le problème n’a rien d’insoluble. Si, par exemple, de tout ce que le christianisme a suscité dans notre littérature d’apologies ou d’expositions de lui-même, il ne nous restait que l’Institution chrétienne de Calvin, les Pensées de Pascal, et le Génie du christianisme, est-il quelqu’un qui doute que l’on reconnût aisément dans ces trois ouvrages, non-seulement des génies différens, mais aussi et d’abord des états différens de la conscience chrétienne? Rien qu’en se fondant sur des raisons philologiques, uniquement tirées de la richesse du vocabulaire, des particularités de la syntaxe, de la distinction des styles, et de celle des « momens » de la langue, dont la succession est écrite, pour ainsi parler, dans la diversité de ces styles eux-mêmes, admettra-t-on qu’il vînt à l’esprit de personne de croire les Pensées, antérieures à l’Institution chrétienne, et bien moins encore l’Institution chrétienne postérieure au Génie du christianisme? Et si de la forme, alors, on passait au fond, et que l’on cherchât de quelle conception de la religion, de quelle manière de comprendre ses rapports avec