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les objets les plus généraux de leurs propres préoccupations : religion, philosophie, histoire; des recherches enfin dont « le monde, » non content de faire le dégoûté, se moquait volontiers comme d’un emploi maniaque de l’intelligence, voilà en effet ce que M. Renan, par cette Histoire du peuple d’Israël, complétant, achevant et coordonnant son Histoire générale des langues sémitiques, ses Études d’histoire religieuse, — et tout ce qu’il y a de travaux de lui, moins connus du public, dans la collection du Journal des savans ou dans celle des Mémoires de l’Académie des inscriptions, — voilà ce qu’il aura fait entrer, pour n’en plus sortir désormais, dans le domaine de la littérature générale, de la discussion publique, et de la conversation mondaine. Ai-je besoin d’ajouter en passant qu’après l’honneur de faire « concurrence à l’état civil, » et de donner la vie aux créations du roman ou de la poésie, il n’y en a pas de plus grand, qui mette un écrivain plus haut, que de réussir à transposer ainsi, dans la langue de tout le monde, les matières qui, jusqu’à lui, ne se traitaient qu’entre initiés, pour ne pas dire entre pédans? Ce que d’autres avaient fait avant lui pour la jurisprudence, Montesquieu, par exemple, ou pour l’histoire, comme Voltaire, de les tirer des in-folio poudreux et de l’ombre des bibliothèques, M. Renan l’a donc fait pour cette partie de l’érudition qu’on appelle exégèse. Comme il avait autrefois résumé, dans ses Origines du christianisme, et jugé en le résumant, par l’usage même qu’il en faisait, tout ce que la science allemande avait accumulé de travaux sur la vie de Jésus, sur le temps probable de la rédaction des Évangiles, sur la lutte intérieure, au sein du christianisme naissant, de l’apôtre des juifs et de celui des gentils, de même, dans son Histoire du peuple d’Israël, avec la même décision et la même netteté, tous ces problèmes, dont l’érudition germanique avait étouffé l’intérêt sous les broussailles de la philologie, si M. Renan ne les tranche pas tous, il en indique au moins les solutions, mais surtout il nous fait sentir à quel point de grandes questions, que l’humanité n’est pas près de cesser de tenir pour vitales, sont engagées dans celle de la formation du Canon de l’Ancien Testament ou de la composition des Livres historiques. C’est ce qu’aucun philologue de profession n’avait fait avant lui, à l’exception d’Eugène Burnouf, et encore dans des travaux dont on eût dit qu’il mettait une espèce de point d’honneur à interdire l’accès au public ; et c’est ce qu’un grand écrivain ne pouvait faire qu’à la condition de se soumettre d’abord, comme l’historien d’Israël, à toute la rigueur des méthodes philologiques.

Si l’on osait, en effet, se servir d’une expression quelque peu singulière, on dirait assez bien que le récit lui-même, — ce récit qui jadis était presque toute l’histoire, et dont on rejetait les « preuves »