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on écrit sur les maîtres de Ninive ou sur les Pharaons d’Egypte, disait Strauss il y a vingt ans, — dans la Préface de sa Nouvelle vie de Jésus, — on peut n’avoir qu’un intérêt historique, mais le christianisme est une question tellement vivante, et le problème de ses origines implique de telles conséquences pour le présent le plus immédiat, qu’il faudrait plaindre les critiques qui ne porteraient à ces questions qu’un intérêt purement historique. » Mais ceux qu’il faudrait plaindre encore davantage, si par hasard ils existaient, ce serait ceux qui n’y prendraient qu’un intérêt purement littéraire.


I.

Non pas qu’en un pareil sujet nous affections d’être insensible aux qualités personnelles ou proprement littéraires. Même, nous savons assez que la manière de dire ou de présenter les choses fait une partie de leur vraisemblance, de leur vérité peut-être, et, en tout cas, du pouvoir qu’elles ont pour nous convaincre ou pour nous persuader. Si, par exemple, dans le temps de Voltaire et de Rousseau, le talent et le génie, au lieu d’être du côté de la « philosophie, » comme on disait alors, se fussent trouvés du côté de « l’autel et du trône, » évidemment la physionomie du XVIIIe siècle en était changée tout entière, et notre histoire prenait sans doute un autre cours. Aussi n’est-ce point à M. Renan, c’est à son livre que l’on ferait tort, c’est à sa thèse et à sa vérité, si l’on négligeait, avant de l’exposer et de la discuter, de dire les moyens originaux et hardis qu’il a pris pour l’établir. Personnels à M. Renan, ils n’en sont pas moins de la constitution du sujet, si même, en un certain sens, ils ne sont le sujet lui-même. Je veux dire par laque, dans l’Histoire du peuple d’Israël, comme autrefois dans celle des Origines du christianisme, la méthode présume les conclusions de tout l’ouvrage, qu’elle les enveloppe au moins, et qu’il n’est pas, on va le voir, jusqu’à la tonalité du style où nous ne retrouvions l’intention assez marquée de ramener ce qu’on appelle encore quelquefois « l’histoire sainte » aux proportions et aux conditions de toute histoire humaine.

Avant tout, et avant même que d’être œuvre d’historien, cette Histoire du peuple d’Israël est œuvre de philologue, d’érudit, de critique, et, si ce n’en est pas assurément le seul mérite, c’en est du moins la principale ou la première originalité. Des recherches ingrates et ardues, qui jusqu’alors étaient demeurées comme enfermées dans la cellule du théologien ou dans le cabinet de l’hébraïsant ; des recherches dont les gens de lettres eux-mêmes, bien loin d’en soupçonner l’importance, ne voyaient pas l’évidente liaison avec