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Battu, son ascendant sur le parti républicain aurait reçu un coup fatal. Par son refus préalable, il restait au contraire le plus puissant des leaders du parti; il pouvait lui rendre dans la lutte prochaine de bien plus grands services comme politicien libre que comme candidat.

Lorsque se réunit la convention du 19 juin à Chicago, il n’y avait qu’à s’incliner devant une résolution formelle. La candidature de M. Blaine ne fut donc pas sérieusement posée, en dépit du vacarme que firent ses partisans et du langage lyrique dont usèrent pour le louer quelques-uns de ses admirateurs fanatiques. Il y eut quelque embarras; aucun nom ne semblait assez populaire pour rallier toutes les sections du parti. M. John Sherman, frère du célèbre général William Sherman, sénateur de l’Ohio et ancien secrétaire du trésor sous le président Hayes, était sans contredit, — le grand favori s’effaçant, — le personnage le plus en vue ; mais il avait contre lui d’avoir été déjà un compétiteur malheureux pour la nomination dans deux ou trois élections précédentes. Le Connecticut présentait le sénateur Hawley; l’Illinois, le juge Gresham; l’Indiana, l’ex-sénateur Harrison; l’Iowa, le sénateur Allison; le Kansas, le sénateur Ingalls ; le Michigan, son gouverneur, M. Alger ; le New-Jersey, M. Phelps ; le New-York, M. Depew, président du chemin de fer du New-York central. Les républicains opposaient volontiers leur richesse en candidats de grande valeur à la pauvreté du parti démocratique incapable de mettre un nom à côté de celui de M. Cleveland. Au premier tour de scrutin qui eut lieu le 21 juin, la lutte se resserra entre MM. Sherman, Gresham, Depew, Alger, Harrison et Allison, M. Sherman en tête de la liste, M. Harrison l’avant-dernier. Au huitième scrutin seulement, un résultat définitif fut obtenu. C’était de nouveau le triomphe du système de l’élection au petit bonheur, qui déjà, en 1880, avait réussi fort heureusement à l’Union, en lui faisant don du général Garfield. M. Harrison avait 544 voix, M. Sherman 118, M. Alger 100, M. Gresham 16. M. Harrison, ayant la majorité absolue, fut aussitôt acclamé et, selon la tradition, nommé à l’unanimité candidat du parti républicain à la présidence. L’opinion publique caractérisa immédiatement le résultat de l’élection en ces quelques mots : «M. Harrison présidera, M. Blaine gouvernera. » Peut-être l’événement corrigera-t-il ce que cette antithèse a de trop absolu.

En tout cas, M. Blaine a dirigé la campagne présidentielle avec une vigueur et une précision qui méritent tous les hommages. Ajoutons que la convention avait été très habile, ayant assuré déjà un des états douteux, l’Indiana, par le choix de M. Harrison, d’aller prendre dans le New-York, tout-puissant par ses trente-six voix électorales