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conséquent, de 552 millions. De tels chiffres révèlent une prospérité financière sans exemple dans les annales du monde entier. Comment les Américains en sont-ils arrivés à un tel encombrement de ressources, que leur gouvernement reçoit chaque année de l’impôt un superflu de plus d’un demi-milliard de francs, dont il ne sait littéralement que faire? Quelle est la cause de ce phénomène que nous ne pouvons qu’admirer, tout espoir raisonnable nous étant interdit de le voir jamais se produire dans notre vieille Europe? La principale et très suffisante raison est que les États-Unis, immédiatement après la fin de la guerre de la sécession, ont supprimé d’un seul coup les énormes dépenses qu’ils venaient de faire pendant quatre ans pour la guerre et la marine, tandis que les impôts extraordinaires qui avaient été établis pour faire face à une situation exceptionnelle n’ont été que graduellement abolis ou diminués. Encore aujourd’hui les droits de douane restent presque aussi élevés que dans ces années d’épreuves où il fallait lever, équiper, nourrir, armer et transporter une armée de près d’un million d’hommes.

Aussi longtemps que le gouvernement fédéral a pu appliquer les surplus annuels à l’extinction de la dette contractée pour la guerre, ce grand excès de richesses a présenté plus d’avantages que d’inconvéniens. Mais aujourd’hui cette situation, naguère si enviable, est devenue une source de dangers. A la date du 1er juillet de l’année dernière a été achevé le remboursement de toute la partie de la dette américaine qui pouvait être actuellement amortie au pair. Il ne restait plus que 250 millions de dollars à 4 1/2 pour 100 d’intérêt, remboursables au plus tôt en 1891, et 740 millions de dollars à 4 pour 100 d’intérêt, qui ne pourraient être remboursés au pair qu’en 1907. Quelle perturbation ne serait pas jetée sur le marché des capitaux, si les excédens budgétaires devaient désormais s’accumuler au trésor, sans emploi possible, à raison de 50 millions de francs par mois ! M. Cleveland et son ministre des finances usèrent d’expédiens, payant des coupons par anticipation, rachetant des bonds fédéraux avec prime. Mais l’opinion publique persistant à ne pas comprendre la gravité du problème, le président prit la résolution de suivre les républicains sur le terrain de la question du tarif, où ils affectaient de vouloir porter par avance la lutte présidentielle, en exaltant plus opiniâtrement que jamais les vertus du régime de la protection. Rompant avec toutes les habitudes traditionnelles, il présenta, à l’ouverture de la première session du cinquantième congrès, en décembre 1887, un message très court, exclusivement consacré aux difficultés de la situation financière et à la révision des droits à l’importation. Le péril des excédens budgétaires y était dénoncé sur un ton d’emphase propre à forcer l’attention