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disposé de ce côté, surtout dans les premiers temps, à lui reprocher son respect exagéré des prescriptions de la loi. On eût mieux aimé le voir opérer à travers les administrations peuplées d’employés républicains le coup classique de l’épuration en masse, afin de pouvoir s’autoriser de l’exemple le jour où on aurait été ramené au pouvoir par les hasards d’une élection.

Faut-il attribuer l’échec de M. Cleveland au reproche qui lui a été fait, pendant tout le temps de sa présidence, par les républicains, de s’être montré trop conciliant à l’égard de l’Angleterre à propos des pêcheries du Canada ? ou de n’avoir pas suffisamment encouragé les Irlandais d’Amérique à mettre leurs frères d’Europe en état d’imposer à la Grande-Bretagne le programme home-ruler de MM. Parnell et Gladstone? Ces griefs, apparens ou réels, ont pu avoir quelque influence sur le vote irlandais, si important dans l’état de New-York, et que les deux partis se disputent avec une telle âpreté. D’ailleurs, M. Cleveland, cédant aux conseils de politiciens plus enclins à s’inspirer des circonstances que des principes, a eu la faiblesse, dans les derniers mois, de faire de la politique électorale au lieu de la politique gouvernementale. Lorsque le parti républicain, réfugié dans la petite majorité dont il disposait au sénat comme dans une forteresse inexpugnable, eut fait rejeter le traité conclu par M. Bayard avec la Grande-Bretagne, le président, pour faire pièce à ses adversaires, a lancé son fameux message de représailles contre le Canada. Quelques jours avant l’élection même, il n’a pas hésité à faire une injure grave à l’Angleterre par le renvoi brutal du ministre de ce gouvernement à Washington. Mais M. Cleveland n’a pas tiré plus de bénéfice de l’incident diplomatique dont lord Sackville a été l’imprévoyante victime, que de ses procédés d’intimidation à propos de l’affaire des pêcheries. Ces brusques changemens de front, opérés à la dernière heure, ces velléités de politique d’action où l’absence de conviction était si manifeste, n’ont pas empêché le vote irlandais de rester divisé et M. Blaine de conserver pour son parti le contingent de voix que, sur le terrain des sympathies et des antipathies anglaises, il avait su déjà enlever à son rival en 1884.

Mais ce n’était pas sur de telles questions que le sort de l’élection présidentielle pouvait être sérieusement débattu. Les républicains auraient été mal avisés d’aller surtout dénoncer le président démocrate à l’indignation de ses concitoyens pour l’usage obstiné, courageux que, depuis trois années, il faisait de son droit de veto contre des lois extravagantes organisant le gaspillage, par centaine de millions, des deniers publics, sous la forme de pensions scandaleuses, de travaux extraordinaires de défense, de rectifications de