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d’exiger que le mérite et la compétence soient les seules conditions requises, et non la fidélité obséquieuse aux intérêts d’un parti ou le sacrifice d’une opinion politique honnêtement professée.


Après de telles paroles, on était en droit d’attendre une transformation complète des procédés de recrutement des grandes administrations. Sans doute, M. Cleveland a résisté avec courage aux sollicitations des démocrates de la vieille école, qui en sont toujours à la doctrine jacksonienne : aux vainqueurs les dépouilles ! et qui réclamaient un immense coup de balai, par lequel tous les fonctionnaires républicains auraient été expulsés de leurs emplois sans autre forme de procès, ce qui eût permis aux affamés du parti triomphant de s’attabler à leur tour au festin.

Le président s’est refusé à cette exécution. Il a laissé crier la meute et s’est appliqué consciencieusement à étudier chaque cas de révocation ou de nomination dans son détail particulier. On eût dit que le chef suprême de l’Union n’avait plus d’autre charge ni d’autre attribution que l’étude minutieuse des dossiers personnels des postulans aux hautes fonctions publiques. Le premier magistrat de la république a présenté longtemps l’image d’un excellent chef de bureau. En fait, la loi sur l’admission aux emplois par concours, votée en 1883, sous la présidence républicaine de M. Arthur, a été exécutée rigoureusement et avec succès partout où son application était prescrite. D’ailleurs, les réformateurs entouraient leur élu, leur président, d’une surveillance farouche, et prétendaient ne pas lui passer une seule concession aux anciennes pratiques, au laisser-aller traditionnel. Puis il a fallu en rabattre. M. Cleveland n’est pas parfait. La pression des influences politiques est peu à peu devenue trop forte. On n’a vu à aucun moment des fonctionnaires républicains révoqués en masse et remplacés par des escouades de démocrates ayant rendu quelque service dans les élections ; mais, à côté de beaucoup de bons choix particuliers, il en a été fait de moins bons et même de franchement mauvais. Le président a commis personnellement quelques graves erreurs. D’autre part, il n’a pas réussi à déraciner les anciens abus. Dans les administrations de la poste, de la douane, des terres publiques, des Indiens, les scandales sont restés aussi fréquens, aussi éclatans; le sans-gêne des hommes aux mains desquels sont confiés ces grands services s’est accru à mesure que le temps s’écoulait et que se rapprochait l’époque d’une nouvelle campagne présidentielle.

Mais, si M. Cleveland a pu ainsi mécontenter le groupe des indépendans, ce n’est pas assurément de la tiédeur de son zèle pour la réforme que le parti républicain lui a fait grief. On eût été plutôt