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jouer un rôle bien en vue. Le malheur voulut que la législature de l’Indiana, dont il comptait obtenir sa réélection, redevînt en majorité démocrate dans l’automne de 1886, et M. Benjamin Harrison fut rendu, le 4 mars 1887, à la vie privée. La fortune politique vient de lui donner, dix-huit mois plus tard, une belle compensation.


III.

Quelles raisons ont pu déterminer les électeurs des États-Unis à ne pas réélire l’honnête homme qui occupe actuellement la présidence, et à rendre le pouvoir au parti républicain en donnant la majorité de leurs suffrages au rival de M. Cleveland? Il suffirait peut-être, en ne tenant compte que du partage presque égal des voix, une première fois en 1884 et de nouveau en 1888, d’alléguer, comme unique explication du revirement, le pur caprice de la foule, le goût du changement, ce sentiment qui faisait voter contre Aristide des Athéniens fatigués de l’entendre appeler le Juste. Mais l’explication serait insuffisante. Si un écart insignifiant d’un millier de voix a pu, en 1884, jeter dans la balance de l’élection le poids entier des suffrages électoraux du New-York, et décider par cela même le succès de M. Cleveland, il n’en a pas été de même en 1888; M. Cleveland n’eût pas été élu, alors qu’il eût encore emporté les voix de New-York. D’autres états douteux l’ont abandonné ; la Virginie occidentale s’est détachée du faisceau serré, du solid South. Il faut chercher ailleurs que dans un pur hasard du scrutin, ailleurs que dans les luttes obscures des fractions démocratiques de la ville de New-York et dans les arcanes du vote irlandais, ailleurs enfin que dans le rôle, considérable il est vrai, joué par l’argent dans la dernière élection, les motifs plausibles de la revanche prise par le parti républicain.

La majorité des électeurs n’avait en réalité rien de grave à reprocher à l’administration de M. Cleveland. C’est un premier point qu’il convient de bien nettement établir. Il y a quatre ans, les leaders républicains prétendaient que l’élection d’un président démocrate serait immédiatement suivie de la ruine des grandes industries du Nord, du dérangement des finances fédérales, de la dépréciation de la circulation monétaire, de la destruction du crédit public. Les prophètes du parti ajoutaient que les droits civils et politiques du peuple ne seraient plus en sécurité, que le nombre des membres de la cour suprême fédérale serait porté à vingt et un par l’adjonction d’une fournée de juges démocrates. On rembourserait la dette confédérée, on pensionnerait les soldats de l’armée