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M. Cleveland eussent bien préféré que le candidat républicain fût M. Blaine, comme en 1884!). Dans l’été de 1839, au cours d’une excursion sur les bords des grands lacs, Clay fit un discours à Buffalo et dit :


L’opposition constitue la majorité de la nation. Elle ne peut être battue que par suite de ses divisions et non par les mérites des principes de ses adversaires... Si mon nom crée un obstacle à l’union et à l’harmonie, rejetez-le, concentrez-vous sur une individualité plus acceptable pour toutes les branches du parti. Que vaudrait un homme public qui ne serait point prêt à se sacrifier pour le bien de son pays? J’ai très sincèrement désiré la retraite. Je la désire encore, alors que je puis, sans porter atteinte à mes devoirs et à mes obligations, me retirer honorablement.


On croirait lire une lettre de M. Blaine, datée d’hier, à cette différence près que les lettres de M. Blaine n’ont point ce parfum de modestie et expliquent sur un ton plus fier les raisons qu’il a, lui aussi, d’aimer la retraite.

A quarante-huit ans de distance, le grand-père et le petit-fils ont été victorieux ; les généraux ont battu les avocats ; l’ancien territoire du Nord-Ouest a battu l’état empire. Il est vrai qu’aux États-Unis la distinction entre les généraux et les avocats n’est pas aussi grande qu’on le pourrait croire ; tant de politiciens, à commencer par le vainqueur du 6 novembre 1888, exercent la profession civile tout en portant le titre militaire! Nous ne pousserons pas plus loin le parallèle entre les deux situations. Il y aurait trop de réserves à faire, car les temps sont changés, et les programmes, malgré beaucoup de points de ressemblance, ont subi maintes transformations. Mais ce qui ne s’est guère modifié, ce sont les mœurs électorales. Nous n’en voulons pour preuve qu’une courte description faite, précisément de l’élection de 1840, par un témoin oculaire, observateur très perspicace, bien que juge un peu partial à force de scepticisme dédaigneux et d’ironie spirituelle. M. de Bacourt, diplomate gentilhomme, élégant, très distingué et très raffiné, fut envoyé, en 1840, de Carlsruhe à Washington pour représenter près du peuple yankee le gouvernement français. Il eut pendant quelque temps peine à se convaincre qu’il n’était pas transporté chez des sauvages encore mal dégrossis[1]. Il arrive en Amérique en pleine fièvre d’élection présidentielle. Le président en office, M. Van Buren, lui plaît : « Fils d’un cabaretier, et ayant lui-même

  1. De Bacourt, Souvenirs d’un diplomate, lettres intimes sur l’Amérique.