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président n’a été contraint de descendre du pouvoir avant le temps fixé, sous l’inculpation de méfaits de l’ordre le plus vulgaire. On peut adresser à la démocratie américaine bien des reproches mérités, railler ses travers et ses ridicules, mettre sa corruption politique en regard de la corruption qui sévit au milieu d’autres démocraties, on ne saurait dénier à ce pays qu’il possède au moins un organisme politique d’une solidité éprouvée, et c’est bien quelque chose : « Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère, » pourrait s’écrier le peuple des États-Unis.


I.

Un des résultats les plus curieux du mode de fonctionnement des institutions politiques américaines est le retour périodique de certaines situations avec des personnages nouveaux et qui semblent pourtant les mêmes. S’il est un pays où l’histoire aime à se répéter, c’est bien celui-là. Nous venons de voir le suffrage universel déclarer à un président démocrate, M. Cleveland, qu’il avait cessé de plaire, et décider par là que l’an prochain le parti républicain rentrera triomphant au pouvoir avec son candidat, M. Harrison. Avant d’examiner les circonstances et les motifs de cette évolution politique, nous ne pouvons nous empêcher d’établir un rapprochement entre le moment présent et un moment déjà lointain du passé. La situation électorale, telle qu’elle s’est déroulée depuis une année et qu’elle vient de se dénouer, reproduit, en effet, plus d’un incident de l’élection présidentielle de 1840. Il y a quarante-huit ans comme aujourd’hui, un président démocrate était en exercice, et accomplissait la dernière année de son terme. C’est l’état de New-York qui avait donné Van Buren à l’Union, comme il lui a donné Cleveland, après avoir eu l’un comme l’autre pour gouverneur. Tous deux étaient de petite naissance, exerçaient la profession d’avocat et firent leur fortune en s’enrôlant dans les rangs du parti démocratique. Ici, toutefois, s’arrête la ressemblance. M. Cleveland est surtout un honnête bourgeois, dont il est bien difficile d’apprécier encore le rôle et de juger le caractère et les talens, mais qui laissera une réputation de jugement ferme, de sage modération et de parfaite intégrité. Van Buren était un politicien d’une grande finesse. Il fut le premier et l’un des plus intelligens de ces bosses (chefs d’un parti dans leur état) qui ont pris une si grande place dans la vie politique américaine depuis une cinquantaine d’années. C’est lui qui a donné au parti démocratique dans le New-York cette organisation puissante qui subsiste encore aujourd’hui, malgré tant de violentes secousses qui l’ont ébranlée. Après avoir été gouverneur