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elle savait mettre une nuance de coquetterie qui donnait un agrément tout particulier à son accueil. Plus d’une l’aborda avec les préventions les plus défavorables, qui s’en retourna subjuguée. Mme Swetchine nous apporte sur ce point le témoignage positif que la Correspondance et les Souvenirs de Mme de Chateaubriand ne nous donnent pas : Mme Swetchine avait toujours jugé très sévèrement Mme Récamier, dont elle n’aimait ni le caractère ni les allures, et en qui elle voyait, d’ailleurs, une redoutable rivale d’influence mondaine, et elle ne lui épargnait, à l’occasion, ni les propos mordans ni les allusions ironiques. Mais quand elle la rencontra à Rome, en 1824, elle fit comme les autres, elle tomba sous le charme et n’essaya jamais de s’y soustraire : « Je me suis sentie liée avant de songer à m’en défendre, écrivait-elle sous le coup de sa première impression. Mme Récamier me manque comme si nous avions passé beaucoup de temps ensemble, comme si nous avions beaucoup de souvenirs communs. » Ainsi fit également Mme de Chateaubriand ; et des relations confiantes, bientôt même affectueuses, s’établirent entre elle et Mme Récamier.

Si c’en était le lieu, si les témoignages écrits étaient plus nombreux et plus précis, il serait curieux de rechercher d’où vint à Mme Récamier le désir de connaître la vicomtesse de Chateaubriand et quelle fut la source vraie de l’attachement qu’elle lui marqua par la suite. On approcherait de la vérité, je crois (si toutefois la vérité peut être saisie dans une matière aussi complexe et aussi délicate), en essayant d’établir que ce désir naquit chez Mme Récamier du jour où elle, à son tour, ne régna plus seule sur le cœur de « René, » et que le mouvement de sympathie qui la porta vers Mme de Chateaubriand eut pour origine la communauté de leurs griefs.

Un dernier point reste à éclaircir pour terminer cette étude: quelle part d’estime et d’affection Mme de Chateaubriand a-t-elle reçue de son mari? A la considérer dans l’ensemble de sa vie, il serait paradoxal d’avancer qu’elle a eu la meilleure part de ses sentimens affectueux. Mais, à la comparer avec chacune de ses rivales, on est en droit d’affirmer que, tout compte fait, c’est elle qui a eu la plus forte somme. Chateaubriand était en amour l’inconstance même ; ses passions brûlaient et brillaient, mais ne duraient pas, et, dans l’intervalle, il revenait toujours à la vicomtesse. Il avait parfaitement conscience de ses torts envers elle ; on en trouve l’aveu fréquent dans les lettres qu’il lui a adressées, pendant la seconde moitié de sa vie, et il n’a pas craint de le répéter, en toute franchise, dans les Mémoires d’outre-tombe. « Ai-je reporté à ma compagne, se demande-t-il, tous les sentimens qu’elle méritait et