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toutes les choses et les gens de la cour. La restauration tombée, quand M. de Chateaubriand, toujours à la recherche des rôles à effet, déclara que la monarchie de Juillet ne devait pas compter sur son dévoûment, la vicomtesse conserva aussi sa foi légitimiste; mais elle entretint soigneusement dans son cœur ses antipathies de personne, ses méfiances et ses rancunes. Le mot des Mémoires d’outre-tombe exprime bien ses sentimens à l’égard de la dynastie déchue : « Nous ne lui devions que notre fidélité; elle l’a. »

Dans les dernières années du règne de Louis-Philippe, nouvelle évolution des opinions politiques de Mme de Chateaubriand. Ne la voilà-t-il pas prête à accepter la république, dont elle prévoyait l’avènement? « Républicaine, pourquoi non? disait-elle un jour, vers 1844. Je n’ai pas d’antécédens politiques, moi; je puis, dès qu’elle arrivera, accepter la république ; et vous autres, hommes d’état du présent et du passé, vous avez tous fait et vous faites trop de bêtises pour qu’elle n’arrive pas. »

Mais ce fut peut-être dans sa façon de comprendre la religion et d’en observer les devoirs qu’apparut le plus nettement la disposition toute pratique et tournée vers l’action du caractère de Mme de Chateaubriand. Tout d’abord, la religion que professait l’auteur du Génie du christianisme, cette religion créée par l’imagination plutôt que sentie par le cœur, n’était pas son fait : sa toi était plus simple, plus sincère, et la magnificence de la pompe sacrée n’y était pour rien. Elle ne faisait point parade de ses sentimens religieux, elle n’en parlait pas, elle aurait cru les profaner en les exploitant comme un sujet de thèse littéraire ; les plus belles pages des Martyrs devaient, à cet égard, froisser quelque fibre intime de son cœur.

Même dans ses croyances, cet excellent esprit savait trouver la juste mesure, et le caractère même de sa piété lui faisait honneur, — une piété sans tristesse ni âpreté, sans excès mystique ni rigorisme ultramontain, qui ne donnait ni dans les écarts de Mme Swetchine ni dans ceux des Missions, — une piété comme on la pratiquait au XVIIe siècle, comme Fénelon voulait qu’elle fût, « sans rien de faible ni de gêné, qui élargit le cœur, qui est simple et aimable, qui se fait toute à tous pour les gagner tous. »

La dévotion pure ne lui eût pas suffi : la charité pouvait seule satisfaire aux exigences de sa nature active et positive. L’Infirmerie de Marie-Thérèse, qu’elle fonda après 1815, était une œuvre originale dans le temps qu’elle la conçut; les institutions charitables de cet ordre étaient loin d’avoir alors, — par le nombre et l’importance, — le développement qu’elles ont reçu depuis. L’idée de Mme de Chateaubriand était neuve, juste et féconde. Elle consacra