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en 1810, dans une conspiration royaliste, la jeta franchement dans l’opposition. Quand, le 6 avril 1814, le sénat appela les Bourbons au trône, elle eut d’abord un cri de joie, « Ce devait être pour nous, écrit-elle dans ses Souvenirs, un jour de délivrance; ce fut celui d’un mécompte complet. Il fut suivi de vexations d’autant plus pénibles qu’elles faisaient autant la joie que l’étonnement des ennemis. Aussitôt qu’on eut la certitude que le lion était enchaîné et que les souverains entraient à Paris, il n’y eut pas assez de cris pour maudire celui qu’on avait encensé. Chacun, en allant au-devant des étrangers, semblait revenir de Coblentz... » La voilà désormais légitimiste, mais frondeuse, mais peu respectueuse, très indépendante dans ses jugemens, très mordante dans ses propos. Il faut l’entendre conter le voyage de la cour à Gand, où, pendant les cent jours, elle accompagna M. de Chateaubriand, à qui le roi venait de confier le portefeuille de l’intérieur. Jamais la vie ne lui offrit spectacle plus amusant ni mieux fait pour exercer sa verve malicieuse que celui de cette cour transfuge, qu’elle voyait de la coulisse même. Les mille incidens qui s’y succédèrent sous ses yeux laissèrent une trace si nette dans son esprit, que lorsqu’elle en fit le récit, dix ans plus tard, elle les raconta avec un aussi vif sentiment que s’ils se fussent passés de la veille. Dans l’affolement général, dans le débordement des colères triomphantes et des haines victorieuses qui se déchaînèrent après Waterloo, elle sut garder la juste mesure. Ainsi, le général comte La Grange ayant été insulté violemment par des officiers de la garde royale, sous le prétexte de sa fidélité à l’empire, la vicomtesse, qui avait été témoin de l’insulte, note l’incident dans ses Souvenirs, et elle ajoute cette remarque : « Rien n’était plus plaisant que cette intolérance que nous affichions pour des opinions qui n’avaient au fond rien de déshonorant, lorsque nous nous arrangions si bien des plus honteuses et des plus criminelles, et que nous eussions pressé sur notre cœur Robespierre lui-même, s’il était venu nous baiser les mains. »

Mais quand Louis XVIII se résigna à appeler Fouché aux affaires et que M. de Chateaubriand se vit écarté des conseils du roi, elle fut outrée, accusa les Bourbons de bassesse et d’ingratitude, et leur devint franchement hostile. Pendant la restauration, ses sentimens furent tour à tour ceux de la faction royaliste pure et ceux du groupe libéral ; certains jours, elle allait même jusqu’à regretter l’empire. Les retours de faveur royale qui advinrent à M. de Chateaubriand en 1821 et 1829 ne la rallièrent pas, et les brusques disgrâces qui les suivirent ne firent que la mieux confirmer dans son aversion pour Louis XVIII, Charles X, le pavillon de Marsan et