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M. de Chateaubriand dans un tout autre courant d’idées et de passions. Son entrée dans la vie publique, en créant entre les deux époux un intérêt commun, amena une sorte de rapprochement dans leur union : la vicomtesse de Chateaubriand avait toujours professé, en effet, un goût très vif pour les choses de la politique; elle en avait le sens et l’entente, et son esprit pratique aimait à s’y exercer. Elle fut dès lors, sur ce point du moins, la confidente de son mari et souvent son inspiratrice. C’est ainsi qu’elle l’accompagna à Gand, pendant les cent jours, quand il suivit la cour fugitive ; c’est, à ses côtés aussi, qu’elle assista, en observatrice très avisée, aux négociations embrouillées qui précédèrent le retour des Bourbons à Paris. Et pendant toute la restauration, elle continua son rôle de conseillère active dans toutes les questions où le grand polémiste s’engagea avec l’impétuosité de sa nature et l’ardeur de ses rancunes.

Quand la faveur de la fortune politique appela successivement M. de Chateaubriand aux ambassades de Berlin et de Londres (1821-1822), elle ne put aller prendre auprès de lui la place qu’elle y eût dignement tenue : sa santé, qui avait toujours été délicate, était devenue très chancelante, et l’obligeait à de continuels ménagemens. D’ailleurs, un intérêt nouveau était entré dans sa vie et la retenait à Paris. Elle venait de créer, dans une maison de la rue d’Enfer, un asile pour les femmes ruinées par la révolution et pour les prêtres âgés, — l’Infirmerie de Marie-Thérèse, — et elle se consacrait à cette œuvre avec un dévouement et une activité incroyables, visitant ses hôtes, s’informant de leurs besoins, procédant elle-même à ses enquêtes d’admission, recueillant des souscriptions et des dons, ne craignant pas de descendre aux derniers détails pour réaliser une économie ou accroître les ressources de l’établissement. Elle trouvait là une diversion à ses soucis intimes et un aliment pour toute une partie de son âme.

Mais quand, en 1828, M. de Chateaubriand fut nommé ambassadeur à Rome, elle entendit s’y rendre à ses côtés. Tenait-elle à y effacer par sa présence les souvenirs que, vingt-cinq ans plus tôt, Mme de Beaumont avait attachés au nom de son mari ? Craignait-elle les séductions trop faciles de la société romaine, qui jetait alors le plus brillant éclat? Toujours est-il que, le 14 septembre 1828, elle partit avec lui pour l’Italie.

Le jour même de son départ, M. de Chateaubriand adressait un dernier adieu à Mme Récamier, la suppliant de venir le retrouver à Rome, ce qu’elle se garda de faire d’ailleurs : « Tous les torts, si vous ne venez pas, seront de votre côté, lui écrivait-il ; car je vous aimerai tant, mes lettres vous le diront tant, je vous appellerai à moi