Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en 1872, et dirigée au Caire par un Français ; elle compte de 50 à 60 élèves, presque tous appartenant à des familles turques. Les jeunes gens qui sortent de cet établissement parlent et écrivent très passablement notre langue ; l’autre, créée il n’y a que deux mois, reçoit déjà une trentaine d’enfans. Les dames de la Légion d’honneur, dont la maison mère est aux Loges, ont au Caire une succursale où des fillettes indigènes viennent en assez grand nombre apprendre à lire, à écrire et s’exercer à des travaux de couture. A Ramleh, près d’Alexandrie, les dames de Sion ont également une maison d’éducation ouverte à toutes les nationalités et à toutes les croyances.

On doit naturellement se demander si les Frères de la doctrine chrétienne, et, avec eux, les jésuites, les lazaristes, les dames de la Légion d’honneur et de Sion, ne cherchent pas à convertir au christianisme les enfans musulmans ou juifs dont l’instruction leur est confiée. J’ai consulté plusieurs personnes à ce sujet, et toutes m’ont répondu qu’il n’en était rien, et par la simple raison qu’une seule apostasie bien constatée ruinerait tous les établissemens scolaires religieux. Pour qui connaît le caractère musulman ou Israélite en Orient, cela ne peut faire aucun doute : les écoles seraient forcées de fermer.

Riaz-Pacha est le seul qui m’ait affirmé qu’à l’époque où il était ministre, — il l’est redevenu ces jours-ci, — divers employés réputés musulmans lui demandèrent un jour de s’absenter le dimanche pour assister à un office catholique. Riaz-Pacha leur ayant demandé si leurs familles avaient connaissance de leur conversion, il lui fut répondu qu’elles l’ignoraient. Le passage d’une croyance à une autre, d’après les conseils qui leur furent donnés, ne s’était pas fait ostensiblement : ils avaient attendu pour cela l’âge de leur majorité. Le ministre reconnaît d’ailleurs que les apostasies sont très rares. « Un enfant, me dit-il, qui, dès le berceau, entend répéter par son père et sa mère qu’il n’y a qu’un Dieu, Allah, ne pourra jamais concilier sa raison avec les mystères de votre catéchisme. Les noirs apôtres du Soudan, n’ayant qu’un Coran à la main, un sordide haillon pour vêtement, mais embrasés par cette flamme du fanatisme qui les fait se jeter à corps perdu sur les baïonnettes anglaises, savent mieux que les apôtres européens faire la conquête religieuse de l’Afrique. Ils triomphent partout; ils convertissent à la doctrine de Mahomet des millions d’idolâtres là où les prédications des pères blancs du cardinal Lavigerie, les bibles des méthodistes anglais, écossais et américains, ne recueillent que de la haine, quand ce n’est pas la mort.

« Depuis que nos protecteurs, continua Sun Excellence, se sont introduits en Égypte de la façon que vous savez, les missionnaires de la Grande-Bretagne ont envahi aussi le pays à leur manière, en