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dans les tribunaux indigènes par les attributions sinon par le nombre, et de le substituer à l’élément indigène dans les rouages essentiels de l’administration de la justice. Le magistrat européen devrait avoir la direction effective parce qu’il porte généralement avec lui trois qualités qu’il est rare en Orient de trouver réunies : l’intégrité, l’autorité, l’esprit de méthode et de synthèse. A la tête du parquet devrait être placé un procureur-général européen pris parmi les magistrats des puissances dont les institutions juridiques sont en harmonie avec les nouveaux codes. Les présidens de cour et de tribunaux devraient être également étrangers, ainsi que ceux à qui incomberaient les fonctions de chef de parquet et de greffier en chef. Dans ces conditions, sous la direction de fonctionnaires européens, les tribunaux indigènes arriveraient à produire des résultats qui deviendraient peu à peu satisfaisans et permettraient d’arriver dans un avenir plus ou moins rapproché à l’unification des juridictions du droit commun.

Le régime des capitulations n’est pas de son côté sans présenter de grands inconvéniens, surtout à une époque où la facilité des transports entraîne hors de leur pays beaucoup de gens sans ressources connues. L’Égypte est le refuge de nombreux déclassés, parce que, comme dans le comté de Nice autrefois, l’impunité des crimes y existe presque absolument par la faiblesse des autorités consulaires. De là une grande déconsidération pour la population européenne vis-à-vis des indigènes, dont les agissemens coupables peuvent s’excuser par les mauvais exemples qui leur sont donnés. Il en résulte aussi un trouble et une insécurité dans les transactions préjudiciables aux affaires, à la bonne et régulière administration de la justice. C’est donc encore aux tribunaux mixtes qu’il conviendrait de connaître d’une grande partie des causes soumises au régime des capitulations. « La France, selon les propres expressions du rapporteur de la sous-commission de 1884, ne pourra souffrir de cette innovation. Sa colonie est, ou peut le dire sans infatuation patriotique, parmi les plus honnêtes et les plus considérées. Elle a tout intérêt à voir s’élever le niveau de la moralité publique. »

Et, en effet, la France, malgré l’occupation anglaise, n’a pas plus perdu en Égypte de sa prépondérance judiciaire qu’elle n’a perdu de son antique réputation d’intégrité. Elle a vu augmenter sa représentation dans les tribunaux mixtes, dont la présidence donnée à l’élection est, depuis plusieurs années, dévolue à l’un de nos compatriotes. Sa jurisprudence continue à y prévaloir, et, à l’heure animée des audiences, dans des salles vastes et aérées, où trois chambres de notre Palais de Justice tiendraient à l’aise, ce sont les