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par la restauration dans le sens du gallicanisme, fût pour Lamennais un état intolérable. Bien loin de voir, comme les libéraux, dans le gouvernement de la restauration une alliance du trône et de l’autel, l’établissement du trône sur l’autel, il n’y voit, avec son esprit de logique implacable, qu’un athéisme légal, de même que, dans la charte de 181â, interprétée par M. de Villèle, il ne voit que la pure démocratie. La tolérance des cultes, même avec tous les avantages accordés à l’église, ne lui paraît qu’une persécution. Cet ordre de choses, accepté même par les royalistes ultra, à savoir que la religion est une chose que l’on administre comme les autres choses, comme l’Opéra, comme les haras, lui paraît un matérialisme abject. La loi du sacrilège, que le parti libéral dénonçait comme le comble des entreprises théocratiques, excite son indignation comme une œuvre abominable d’indifférentisme, parce que le gouvernement essayait précisément d’ôter à cette loi tout caractère confessionnel et religieux, en étendant le même privilège à tous les cultes, et en disant, par la bouche d’un évêque, qu’il ne s’agissait pas du catholicisme ou christianisme, « comme religion vraie, mais comme religion nationale. » On voit qu’en toutes choses, sur toutes les questions, Lamennais allait toujours jusqu’aux dernières extrémités de sa pensée. Revenir à saint Grégoire VII, tel était le remède qu’il proposait aux maux de la révolution. Abolir le christianisme, ou lui restituer un empire absolu, non-seulement sur les consciences, mais sur les gouvernemens, telle est l’alternative dans laquelle il place la société moderne. Il est rare que la société se laisse enfermer par les logiciens dans de pareils dilemmes ; elle est pour les entre-deux. Mais Lamennais n’a jamais pu comprendre les idées moyennes. Absolutiste et théocrate à outrance, déçu de ce côté dans ses espérances et ses illusions, il va se transporter avec la même ardeur, la même fougue, la même intolérance, à l’extrémité contraire ; et ses idées démocratiques ne le céderont en rien en exagération à ses opinions théocratiques. Renonçant aux doctrines du passé, il se transportera d’un seul bond de l’autre côté du fleuve, n’ayant, dans les deux phases de son existence, qu’un seul sentiment persistant, la haine et le mépris du présent, l’horreur du juste-milieu, des gouvernemens tempérés et des doctrines latitudinaires. Comment ce passage a-t-il pu se faire ? C’est là un problème des plus obscurs et qui ne sera peut-être jamais complètement éclairci. Nous essaierons de retracer cependant les principales phases et les transitions fondamentales de cette extraordinaire évolution.

Quant à cette première campagne de celui que l’on doit appeler encore abbé de Lamennais, on peut dire qu’elle a réussi beaucoup