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gouvernement matériel des sociétés ; mais jamais les papes, même Boniface VIII, n’ont affiché une telle prétention : « Voilà quarante ans, disait celui-ci, que nous sommes versé dans l’étude du droit ; et nous n’avons pas à apprendre qu’il y a deux puissances. » Les évêques, partisans de Boniface, disaient que celui-ci n’avait jamais entendu que le roi lui fût soumis temporellement. Mais où est la limite ? La voici : ce qui appartient au pape, dit Lamennais en citant l’autorité de Gerson lui-même, c’est « la puissance directrice et ordinatrice, » non civile et politique : distinction bien délicate et bien glissante ; car, par la même raison, on pourrait soutenir que le prince ne rend pas la justice, puisque cela est l’office des magistrats, qu’il n’administre pas, ce qui est l’office des intendans ou des préfets, mais qu’il se borne à la puissance directrice. Peut-on nier cependant qu’il soit souverain au temporel ? À l’autorité de Bossuet, Lamennais oppose celle de Fénelon, qui admet, comme principe de droit, que, dans les nations catholiques, le pouvoir ne peut être confié qu’à un catholique, et que le peuple n’est tenu de lui obéir que sous cette condition. Tel était le sens de l’acte par lequel les papes déliaient les sujets du serment de fidélité ; par exemple, à l’époque de l’empereur d’Allemagne Frédéric II, c’étaient ses crimes et ses impiétés qui avaient mérité la sentence du saint-siège. Du reste, ajoute Lamennais, l’église se bornait à des peines toutes spirituelles, par exemple à l’excommunication. La déposition n’était qu’une conséquence : ce fut le droit public au moyen âge. Ce droit sauva la civilisation ; sans lui, la polygamie se fût établie en Europe. Tels furent les bienfaits de celui que Lamennais appelle saint Grégoire VIL Sans doute, les deux pouvoirs viennent de Dieu ; mais l’un règne sur les âmes, l’autre sur les corps. Or, autant l’âme est supérieure au corps, autant le sacerdoce est supérieur à l’empire. Gerson lui-même accordait à l’église un pouvoir de coercition et de coaction. Si le souverain est indépendant de l’église, il pourrait être hérétique, impie, sans religion, sans moralité. Le gallicanisme conduit à l’athéisme légal, qui est le régime de la charte, le régime dans lequel nous vivons. Un avocat célèbre, M. Odilon-Barrot, plaidant devant la cour de cassation, avait, en effet, prononcé cette parole : « La loi est athée. » Dès lors elle n’est pas loi ; car sans Dieu, point de pouvoir légitime. La légitimité est donc inséparable de la religion. La monarchie spirituelle est la garantie des souverainetés temporelles : hors de l’église, elles ne reposent sur rien. Les maximes de 1682 contenaient en germe tous les principes de la révolution.

D’après les théories précédentes, on comprend que l’état religieux moderne, fondé par le concordat et plus ou moins interprété