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est la garantie des peuples contre les rois ; la seconde est la garantie des rois contre les peuples. Le gallicanisme se jette à l’extrême opposé du libéralisme, quoique l’opinion libérale se croie souvent obligée de favoriser l’opinion gallicane : c’est une erreur profonde. L’origine du gallicanisme remonte à l’époque où les princes se sont affranchis des pouvoirs de l’église. C’est une imitation affaiblie de l’anglicanisme et du luthéranisme ; mais c’est le même principe. L’idée commune, c’est que la souveraineté est indépendante de Dieu. C’est donc le pouvoir sans base morale, sans base spirituelle, et par conséquent sans frein. Sans doute, le gallicanisme reconnaît que le pouvoir vient de Dieu, mais sans intermédiaire. Le prince est lui-même le seul juge de ce qu’il doit à Dieu. Dieu est donc relégué, comme dans le système de la souveraineté de la raison, dans un lointain idéal, où il règne sans gouverner. C’est toujours l’homme qui est juge. Dans le libéralisme, ce sont les peuples ; dans le gallicanisme, ce sont les rois. Ils ne sont soumis à aucune règle, à aucune autorité, puisqu’il n’y a au-dessus d’eux aucune puissance spirituelle, et que d’ailleurs le royalisme n’admet ni la souveraineté du peuple, ni aucun droit de contrat de la part du peuple ; ainsi le pouvoir est sans contrat et du côté du peuple et du côté de Dieu. C’est le despotisme pur. Le souverain ne connaît d’autre frein que celui de sa conscience, la souveraineté est inadmissible. « Le souverain légitime, disait M. de Frayssinous, fùt-il tyran, hérétique, persécuteur, ne cesse jamais d’être souverain légitime ; » et les peuples sont censés devoir souffrir tous ces maux par ordre de Dieu. Le souverain sans doute peut, à titre d’homme, avoir des devoirs ; mais comme souverain il n’en a pas. Voici comment s’exprime Pierre Dupuy dans le Traité des droits et libertés de l’église gallicane : « Le roy n’est-il pas le juge sur tous ? chef de son armée ? le plus hault et le plus souverain de tous ? N’est-il pas en sa puissance de prendre les enfans de ses sujets et de les mettre à ses chariots ? N’est-il pas en lui d’en faire des centeniers, des grands-maréchaux, des laboureurs de ses terres ?.. Il a la puissance de prendre les filles de ses sujets, et employer les unes à lui faire onguens et parfums, les aultres tenir pour concubines, les aultres pour panetières… Il peut confisquer les champs et les héritages… Voilà donc ce que c’est d’un roy en l’église. » Comment les libéraux peuvent-ils soutenir une doctrine qui s’appuie sur de telles maximes ? Le gallicanisme est si bien la doctrine du despotisme, qu’il a triomphé dans l’ancienne monarchie en même temps que le despotisme, c’est-à-dire sous Louis XIV, sous le règne duquel la monarchie, absolue a atteint son apogée. Ainsi les deux doctrines aboutissent au même résultat : le libéralisme détruit la notion du pouvoir ; le gallicanisme la