Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impuissantes. Il n’a pas dit qu’elles nous trompent toujours. Il a dit, comme Descartes, qu’elles nous trompent souvent, et qu’elles ne portent pas avec elles un signe infaillible pour distinguer quand elles nous trompent et quand elles ne nous trompent pas. Il leur a refusé, non la vérité, mais la certitude et l’infaillibilité. Voici d’autres objections, avec les réponses de l’auteur : Si l’homme n’a pas le moyen de distinguer la vérité, comment reconnaîtra-t-il la vraie autorité ? Lamennais répond qu’on ne prouve pas l’autorité, mais qu’on la constate comme un fait. Soit ; mais encore faut-il la constater, et on ne le peut que par le moyen des facultés dont Lamennais a soutenu l’insuffisance et l’incertitude. — Nous ne connaissons le témoignage que par la raison individuelle ; c’est donc toujours la raison individuelle qui juge. Cette difficulté, répond Lamennais, vaudrait contre les catholiques en général aussi bien que contre notre système ; car certainement c’est par la raison que nous connaissons les preuves de l’Écriture, et certainement l’Écriture est au-dessus de la raison. D’ailleurs on confond deux choses : la raison et les moyens extérieurs par lesquels la vérité lui est manifestée. Sans doute, l’homme ne peut comprendre qu’avec son esprit, juger qu’avec sa raison. Aussi ne disons-nous pas que le témoignage est la raison même ; il est la lumière qui éclaire la raison, il n’est qu’un motif de crédibilité, mais le plus fort de tous et le seul infaillible. — Au moins ne nierez-vous pas la certitude de l’existence personnelle ? La certitude de fait, non ; mais la certitude rationnelle, oui ; car Descartes lui-même le reconnaissait. Il n’y a que Dieu qui ait la certitude rationnelle de son existence. — Enfin, on objectait à Lamennais qu’il était à craindre que ce mode nouveau de démonstration n’affaiblît les preuves traditionnelles du christianisme. Lamennais répond qu’il les laisse toutes subsister en les fortifiant : cela est fort douteux ; car s’il n’y a de certain que ce qui se fonde sur l’autorité du genre humain, comment croire à la certitude d’une croyance qui n’a pour elle qu’une faible portion de l’humanité ? Il faut arriver à dire que ce n’est pas le nombre des autorités, mais la qualité qui décide. Mais n’est-ce pas changer de principe ?

Deux mots en terminant cette analyse sur ce système si souvent discuté dans les écoles, et combattu au moins autant par les théologiens que par les philosophes. Il a été surabondamment démontré que cette doctrine est insoutenable sous sa forme absolue, et dans sa prétention de supprimer l’examen et de tout subordonner à l’autorité. N’y a-t-il pas cependant une part de vérité dans la thèse de Lamennais ? N’invoque-t-il pas un fait vrai et attesté par la conscience de chacun, lorsqu’il dit que chacun de nous doute de lui-même, tant que son opinion est isolée et qu’il ne peut compter