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au salut. « Je crois, dit Jurien, que c’est encore la règle la plus sûre. » Cette troisième règle devait fort embarrasser Lamennais ; car, au fond, c’est son propre critérium, à savoir l’autorité de tous, ou, à défaut de tous, du plus grand nombre. Il ne pouvait reconnaître l’autorité de cette règle sans changer immédiatement de sujet, entrer dans la question de la certitude, proposer ses propres principes et renoncer à sa controverse. Mais c’était entrer trop tôt dans le camp réservé. Il n’était pas temps de se découvrir, et d’expliquer ce qu’il entendait par le principe d’autorité. Il se contente de faire remarquer qu’il n’y a unanimité sur aucun point parmi les protestans, qu’il n’y a pas un seul dogme qui n’ait été nié par quelque hérétique. D’ailleurs, les protestans n’admettent aucune autorité divine ; or le consentement de tous les chrétiens n’est qu’une autorité humaine et, par conséquent, insuffisante. — La réforme, par la force des choses, fut amenée à substituer à ces règles arbitraires d’autres règles que Bossuet résume en ces termes : « Il ne faut reconnaître d’autre autorité que l’Écriture interprétée par la raison. L’Écriture, pour obliger, doit être claire. Lorsque l’Écriture paraît enseigner des choses inintelligibles et où la raison ne peut atteindre, il la faut tourner au sens dont la raison peut s’accommoder, quoiqu’on semble faire violence au texte. » Ces règles ne sont que le développement du principe même du protestantisme ; mais elles subordonnent complètement l’autorité de l’Écriture à celle de la raison. Les protestans, dans la pratique, ont donc été amenés peu à peu à n’avoir d’autre règle que celle de la raison individuelle. Dès lors, impossible d’exclure aucune opinion. Il faut admettre toutes les sectes, et même toutes les religions, y compris la religion naturelle ; et alors pourquoi pas l’athéisme lui-même ? Car l’athée parle également au nom de la raison.

La conclusion générale de tout ce premier volume, qui fut considéré par tous les catholiques comme le plus beau et le plus fort de l’ouvrage, c’est qu’en dehors du catholicisme, tous les systèmes rentrent les uns dans les autres ; le protestant ne peut se défendre contre le déiste, le déiste contre l’athée, et tous vont se perdre dans l’abîme de l’indifférence absolue et du doute universel. Ainsi la raison ne conduit qu’au scepticisme, et il faut chercher un autre principe de certitude.


II.

Lorsque Descartes proposa comme méthode en philosophie l’examen personnel et le doute universel jusqu’à ce que l’on ait rencontré l’évidence, il est remarquable que personne ne parut deviner la gravité de cette proposition et n’en vit les conséquences. Parmi