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de docteurs. Où voyez-vous dans le protestantisme les caractères de la véritable église ? L’église est une, car il n’y a qu’une vérité ; elle est perpétuelle, car la vérité ne peut changer. Où est l’unité chez les protestans, qui sont partagés en sectes innombrables ? Où était votre église avant Luther ? On est obligé de répondre avec le docteur Claude : « L’église n’est dans aucune secte en particulier, mais elle est répandue dans toutes. Donc toutes sont vraies à la fois. C’est la doctrine même de l’indifférence. »

Pour sauver l’unité de l’église dans la diversité des sectes, il faut abandonner tout ce qui divise, et ne conserver que les points communs, lesquels seuls sont essentiels. C’est ce qu’on appelle chez les protestans la doctrine des « articles fondamentaux. » Mais cette doctrine n’est pas dans l’écriture. Ni les conciles ni les pères n’ont jamais parlé de dogmes à choisir dans la révélation. Comment admettre une révélation où les fidèles seraient libres d’en prendre et d’en laisser à leur gré, et où il serait permis de rejeter des vérités révélées, sous le prétexte qu’elles sont moins importantes que les autres, ou que Dieu n’a pas parlé assez clairement ? L’autorité d’une révélation n’est-elle pas toujours la même, quelle que soit l’importance des dogmes ? Sur quels principes d’ailleurs s’appuiera-t-on pour faire le triage entre ce qui est fondamental et ce qui ne l’est pas ? Jurien donne trois règles, qui toutes trois sont absolument insuffisantes. La première est une règle de sentiment. On sent, dit-il, les vérités fondamentales du christianisme, comme on sent la lumière quand on la voit, la chaleur quand on est auprès du feu, le doux et l’amer quand on mange. « c’est la règle de Rousseau. » Ma règle est de me livrer au sentiment « plus qu’à la raison. J’aperçois Dieu ; je le sens. » Mais cette règle est arbitraire. L’athée qui ne sent rien du tout peut être à plaindre, mais non à condamner ; car personne n’est maître de se donner un sentiment qu’il n’a pas. Dans le sein de la réforme, chacun avait sa manière de sentir ; l’arménien ne sentait point la nécessité de la grâce, ni le socinien celle de la divinité de Jésus. Cette règle, d’ailleurs, conduisait à un fanatisme insensé. Toutes les extravagances des anabaptistes, des trembleurs, des indépendans venaient d’un prétendu sentiment immédiat, qu’ils donnaient comme une inspiration de la divinité. — La seconde règle de Jurien était d’admettre tout ce qui était d’accord avec les fondemens mêmes du christianisme. Mais cette règle est une pétition de principe. Car la question était précisément de savoir quels sont les vrais fondemens du christianisme. Ainsi cette règle est inutile ; car, qui peut juger de la liaison d’un dogme avec un autre dogme qu’on ne connaît pas ? — De là la nécessité d’une troisième règle : Tout ce que les chrétiens ont cru unanimement et croient encore partout est fondamental et nécessaire