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Contrairement à la doctrine de la plupart des congréganistes musulmans, qui déclarent les pratiques pieuses, les oraisons et l’exaltation mystique suffisantes pour sauver le fidèle, quels que soient ses actes, les Ibadites n’admettent le salut éternel de l’homme que par la pureté de sa vie. Ils poussent à l’excès l’observation des prescriptions du Coran, traitent en hérétiques les derviches et les fakirs, ne croient pas valable auprès de Dieu, maître souverainement juste et inflexible, l’intervention des prophètes ou saints, dont cependant ils vénèrent la mémoire. Ils nient les inspirés et les illuminés, et ne reconnaissent pas même à l’iman le droit d’amnistier son semblable, car Dieu seul peut être juge de l’importance des fautes et de la valeur du repentir.

Les Ibadites sont d’ailleurs des schismatiques, qui appartiennent au plus ancien des schismes de l’Islam, et descendent des assassins d’Ali, gendre du Prophète.

Mais les ordres qui comptent en Tunisie le plus d’adhérens semblent être en première ligne, avec les Aïssaoua, ceux des Tidjanya et des Qadrya, ce dernier fondé par Abd-el-Kader-el-Djinani, le plus saint homme de l’Islam après Mohammed.

Les zaouïas de ces deux marabouts, que nous visitons après celle du Barbier, sont loin d’atteindre l’élégance et la beauté des deux monumens que nous avons vus d’abord.


16 décembre.

La sortie de Kairouan vers Sousse augmente encore l’impression de tristesse de la ville sainte.

Après de longs cimetières, vastes champs de pierres, voici des collines d’ordures faites des détritus de la ville, accumulés depuis des siècles ; puis recommence la plaine marécageuse, où on marche souvent sur des carapaces de petites tortues, puis toujours la lande où pâturent des chameaux. Derrière nous la ville, les dômes, les mosquées, les minarets se dressent dans cette solitude morne, comme un mirage du désert, puis peu à peu s’éloignent et disparaissent.

Après plusieurs heures de marche, la première halte a lieu près d’une koubba, dans un massif d’oliviers. Nous sommes à Sidi-L’Hanni, et je n’ai jamais vu le soleil faire d’une coupole blanche une plus étonnante merveille de couleur. Est-elle blanche ? — Oui, — blanche à aveugler! et pourtant la lumière se décompose si étrangement sur ce gros œuf, qu’on y distingue une féerie de nuances mystérieuses, qui semblent évoquées plutôt qu’apparues, illusoires plus que réelles, et si fines, si délicates, si noyées dans ce blanc