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tolérance, tant que les cabinets ne peuvent se mettre d’accord pour rétablir un ordre légal ou pour reconnaître les faits accomplis. La Serbie passe depuis quelque temps par une série de crises qu’elle doit à son prince, à un souverain d’humeur capricieuse et fantasque.

La première épreuve, pour le petit royaume serbe, a été le divorce royal : grande affaire pour laquelle l’inquiet souverain a joué la paix de son petit état ! L’épreuve était d’autant plus épineuse, d’autant plus délicate, qu’il n’y avait aucune raison sérieuse de divorce, que la reine Nathalie, brutalement répudiée, est restée populaire dans le pays, que le prince a trouvé plus d’une résistance jusque dans son conseil, et que les autorités religieuses régulières ont d’abord refusé de prononcer la dissolution du mariage. Le roi Milan ne connaît pas d’obstacles ! il s’est moqué de l’opinion, il a changé ses ministres, il a choisi une autre autorité religieuse plus docile à ses volontés. Bref, il a fini, non sans peine, par avoir son divorce ! C’est peut-être pour se faire pardonner ce caprice, pour amuser l’opinion, que du même coup, il a imaginé de proposer la révision d’une constitution qui datait de vingt ans ; et il a conduit sa révision comme son divorce, sans plus de façon, avec la même désinvolture. A la vérité, le roi Milan est un prince généreux et libéral : il a promis tout ce qu’on pouvait désirer de mieux, toutes les garanties, toutes les libertés, la réunion d’une skoupchtina extraordinaire ou assemblée constituante pour sanctionner la nouvelle charte de la Serbie. Il a fait appel à tous les partis, libéraux, progressistes, radicaux. Malgré tout, elle n’a pas été facile, cette révision. Il fallait d’abord faire élire l’assemblée constituante qui avait été promise, et le roi Milan comptait évidemment obtenir du pays une majorité docile. Pas du tout, les électeurs ont nommé une immense majorité de radicaux. Que faire ? C’eût été peut-être une difficulté pour tout autre. Le prince libéral de Serbie n’a point hésité à croire que le pays avait dû se tromper, et il a cassé les premières élections. Malheureusement, un second scrutin a donné une majorité radicale plus considérable encore ; il a élu cinq cents radicaux sur un peu plus de six cents députés dont se compose la skoupchtina. On ne pouvait pas casser le second scrutin comme le premier, à moins de tenter ouvertement un coup d’état. Le roi Milan a mieux fait : il s’est résigné sans se décourager. Il a laissé arriver tous ces radicaux récemment élus à Belgrade ; puis il les a chapitrés en bon prince, il les a tour à tour caressés ou menacés, et il a fini par leur imposer sans discussion, sans débat, la constitution qu’il avait préparée. Et voilà ce que c’est qu’une révision bien conduite ! Maintenant c’est fait. On sent bien seulement qu’avec la constitution nouvelle ou sans cette constitution, le roi Milan entend ne faire que ce qu’il veut. La situation de la Serbie, si singulièrement troublée par tous ces derniers incidens, n’en est guère améliorée ; elle