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être un intermédiaire utile entre son père et son prince, c’est pour le moment, à ce qu’il semble, le résumé de la situation intérieure de l’Allemagne.

Avec cela on reste assurément un grand empire ; on ne risque pas moins de mettre une certaine incohérence dans la politique, d’être dupe des infatuations et des irritations de la puissance. On fait des campagnes comme celle qu’on poursuit depuis quelque temps, qui n’est visiblement qu’une œuvre de passion et de fantaisie vindicative ; mais ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que M. de Bismarck n’ait pas senti ce qu’il y avait de dangereux à laisser engager cette guerre violente et puérile contre un ambassadeur de la reine Victoria, contre sir Robert Morier, au moment même où il nouait une action diplomatique et navale avec l’Angleterre sur les côtes de l’Afrique orientale. S’il n’a pas vu qu’il allait émouvoir et blesser l’Angleterre en l’attaquant dans un de ses représentans les plus estimés, dans une princesse anglaise qui fut un instant impératrice d’Allemagne, c’est que dans la solitude où il vit, il est aveuglé par le sentiment de sa puissance ; s’il l’a vu et s’il a marché quand même ; s’il a cru, après avoir satisfait sa passion, pouvoir désarmer l’orgueil britannique avec quelques paroles, quelle opinion se fait-il donc de l’Angleterre ! De toute façon, ces incidens, qui ne sont même pas finis, restent, on en conviendra, un étrange spécimen de la politique allemande sous le nouveau règne. C’est de la politique si l’on veut ; c’est peut-être aussi le moyen de se préparer des mécomptes qui ne sont pas épargnés quelquefois aux plus puissans et aux plus heureux des hommes.

Entre les puissances qui ont à sauvegarder à la fois la paix et leurs intérêts d’influence, il y a des questions qui semblent, il est vrai, à demi assoupies ; on est du moins convenu tacitement de ne point les réveiller ou les agiter à tout propos. Parce qu’elles sont censées sommeiller, cependant, elles n’ont pas cessé d’exister, et il est certainement des régions, comme cette zone toujours troublée du Danube et des Balkans, où toutes les politiques se rencontreront plus d’une fois encore. Pour le moment, on n’en est pas là. Ces états orientaux, devenus depuis si peu de temps des principautés ou des royaumes plus ou moins indépendans, restent à peu près livrés à eux-mêmes. La Roumanie, avec son ministère modéré qui date de l’an dernier, et ses élections plus récentes qui ont été favorables à la politique nouvelle inaugurée à Bucharest, est toujours le plus régulier ou le moins agité de ces états ; son parlement vient même d’avoir la bonne pensée d’émettre un vote de sympathie pour la France et pour son exposition universelle. La Bulgarie, avec son prince Ferdinand de Cobourg régnant en dépit de l’Europe et du traité de Berlin, reste dans une situation qui n’a rien de définitif, qu’on pourrait appeler une situation de