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une verte réplique qui ressemble à une exécution : après quoi sir Robert Morier n’a plus hésité à faire l’opinion européenne juge des procédés allemands, de sa correspondance avec le secrétaire d’état de Berlin. Le coup a été rude. Ce n’est pas tout encore. Au même instant, l’impératrice Augusta, qui vit depuis longtemps dans le silence, a fait écrire au chancelier pour défendre la mémoire d’un serviteur fidèle, de son ancien conseiller de cabinet, M. Brandis, qui serait censé être le premier auteur des prétendues indiscrétions de 1870 ; et cette lettre achève de démontrer ce qu’il y a de vain, de puéril dans ces accusations. De sorte que tout cela finit par la mise en liberté de M. Geffcken, l’éditeur du Journal de Frédéric III, par les rudes démentis de l’ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg, et par le désaveu de l’impératrice-reine Augusta. Pour des spectateurs comme nous, témoins désintéressés de ces querelles d’Allemands, voilà une belle campagne !

A qui en a donc M. de Bismarck ? Que se propose-t-il et que veut-il ? A observer sans parti-pris toutes ces agitations semi-domestiques, semi-politiques qui se succèdent et s’enchevêtrent depuis quelque temps, on dirait que la crise du changement de règne n’est point finie, qu’elle continue plus que jamais au contraire. Il est certain que tout reste assez embrouillé, assez confus dans les affaires intérieures de l’Allemagne, que la direction semble un peu flottante, que jusqu’ici le nouveau règne n’a pris ni sa fixité ni son caractère. On en est encore aux débuts, qui ne laissent peut-être pas d’être embarrassés. Le jeune empereur Guillaume II a fait ses voyages en Europe ; il a trouvé partout un accueil empressé, même des ovations si l’on veut, et malgré tout, à y regarder de près, il n’a pas été toujours heureux. Soit inexpérience, soit hauteur naturelle de caractère, il n’a sûrement pas eu l’art de plaire à Vienne, où il a blessé gratuitement des hommes qui avaient la confiance de l’empereur François-Joseph ; il n’a même pas absolument réussi à Rome, où les triomphes officiels l’attendaient ; et son ministre M. Herbert de Bismarck, qui l’a accompagné dans ses voyages, a réussi encore moins que lui. Souverain et ministre ont voyagé un peu à la légère, et ils sont revenus sans avoir rien conquis, peut-être même sans avoir raffermi cette triple alliance dont on ne cesse de parler. Il est clair que dans toutes ces affaires extérieures comme dans les affaires intérieures, il y a une certaine irréflexion. Pendant ce temps, le chancelier reste enfermé dans sa solitude de Friedrichsruhe, d’où il ne sort que pour prononcer quelque discours retentissant, comme il le fera un de ces jours ou pour satisfaire ses ressentimens contre tout ce qui rappelle Frédéric III. Un vieux chancelier entêté de sa puissance, un jeune empereur inexpérimenté et passionné, un ministre par hérédité trop visiblement insuffisant pour