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l’opinion, une élection à Paris. Il y a des momens où tout est occasion de manifestation. Un député obscur est mort, après avoir passé sans bruit, et, sans plus de retard, sans prendre même le temps de réfléchir, on s’est hâté de fixer la date où s’ouvrirait un nouveau scrutin, comme s’il n’y avait rien de plus pressé que de défier le hasard. On s’est précipité sur cette élection avec l’impatience fiévreuse de gens qui ne se sentent pas sûrs d’eux-mêmes, qui brûlent d’arracher son secret au sphinx populaire. Aussitôt tous les partis se sont trouvés en présence, non plus dans une de ces luttes régulières qui précèdent les élections ordinaires, mais dans une de ces mêlées à demi révolutionnaires, ou l’on sent que tout est en jeu, à commencer par les institutions elles-mêmes et par la paix publique. Le candidat universel et inévitable du moment, le candidat de l’inconnu, M. le général Boulanger, ne s’est pas fait scrupule d’oublier qu’il était déjà député du Nord et a voulu tenter à Paris même la grande aventure. Les républicains de toutes les nuances, de leur côté, ont commencé par hésiter, par être, à ce qu’il semble, assez embarrassés dans le choix d’un candidat ; ils ont fini tous ou presque tous, radicaux et opportunistes, frères ennemis de la veille, par se rallier à la candidature d’un homme obscur, distillateur de son état, président du conseil-général de la Seine, M. Jacques, à qui ils ont donné pour la circonstance, pour ne pas se brouiller, le simple titre de candidat de la république. Maintenant, c’est fait : Jacques contre Boulanger, Boulanger contre Jacques ! Le duel est engagé, les défis, les manifestes se croisent et 6e succèdent. Qui l’emportera au scrutin du 27 janvier ? Voilà la question qui éclipse et résume toutes les autres, qui est, dans tous les cas, le signe de la situation extrême et hasardeuse où des passions aveugles ont placé le pays !

Assurément, on a raison de le dire, Paris n’est pas la France. Il a pu l’être à d’autres époques, il ne l’est plus depuis longtemps ; il est même fort loin d’être la France, et, quel que soit le résultat, l’élection du 27 janvier ne peut rien décider. Il n’est pas moins dans l’instinct public que cette manifestation parisienne qui se prépare n’est point un fait ordinaire, qu’elle tire des circonstances, du caractère des candidatures rivales, une gravité particulière, qu’elle peut avoir des conséquences aussi imprévues que sérieuses. Tout est en effet extraordinaire dans cette lutte que la mort du plus insignifiant des députés a décidée à l’improviste ; et ce qu’il y a de plus extraordinaire que tout le reste, c’est l’obstination avec laquelle les meneurs, les organisateurs de la nouvelle campagne électorale ont tenu à ne poursuivre qu’un succès de parti, là où il y avait avant tout à chercher une victoire des intérêts libéraux. La vérité est qu’il n’y a dans cette lutte aucune place pour les partis modérés, dont on n’a su ménager ni les