Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rire, et, comme le voyageur du poète, « sentant passer la mort, se recommande à Dieu, n C’est bien la mort qui passe, escortée sur cette rivière noire par l’une des plus sinistres mélodies qui jamais lui aient fait cortège ; la mon portant avec elle l’horreur matérielle, physique du cadavre, et d’un cadavre sanglant, conduit à l’église sans honneurs et sans larmes par deux inconnus, par deux indifférens. La barque passe ; Cantarelli accourt : l’adversaire de Comminge était Mergy. Isabelle pousse un cri ; mais soudain Mergy paraît lui-même : autre cri, — de joie celui-là, — et aussitôt, sans une mesure, sans une note inutile, sans une effusion banale, éclate de nouveau le thème soldatesque, non plus sombre et menaçant, mais repris avec une allégresse qui fait de ce refrain de mort une chanson de victoire et de liberté.

Laissons les réformateurs mener grand bruit et revendiquer pour eux tout l’honneur de prétendues découvertes. L’orchestre ne les a pas attendus pour jouer un rôle dans le drame musical. Ne parle-t-il pas seul ici, l’orchestre du vieil Herold, et plus éloquemment que toute voix humaine ? Pourquoi ? Parce que le compositeur voulait exprimer plus que le sentiment des personnages : le sentiment des choses, leur participation à l’horreur du meurtre et de ces funérailles solitaires. Le célèbre chant des altos, c’est l’obscurité, ou plutôt la pâle lueur de la rivière au clair de lune ; c’est la conscience et presque la complicité de la nature ; c’est le Louvre, c’est la ville endormie, et de tout ce monde extérieur l’orchestre seulement pouvait être la voix impersonnelle et désolée.

Nous n’avons pas voulu, — est-il besoin de le dire, — nous donner le facile plaisir d’une comparaison écrasante, mais défendre un peu seulement, par un retour vers l’un de ses chefs-d’œuvre, ce qu’on appelle aujourd’hui avec trop d’ironie le genre éminemment français. Et puis nous avons imité Simonide ; si, comme lui, nous nous sommes jeté à côté de notre sujet, c’est que notre sujet était, comme le sien, « plein de récits tout nus,.. matière infertile et petite. » Enfin est-ce notre faute si, quelque temps avant d’entendre l’Escadron volant, nous avions réentendu le Pré aux Clercs ? Puisqu’il fallait parler à nos lecteurs d’une pièce du temps de Charles IX, ils nous excuseront d’avoir parlé de deux. Qu’ils aillent voir de préférence la plus ancienne ; qu’ils aillent écouter le Pré aux Clercs et M. Dupuy, le nouveau ténor de l’Opéra-Comique. Il a beaucoup de talent et peut le montrer dans le rôle de Mergy, comme dans celui de George d’Avenel, plus que dans celui de René de Tremaria.


CAMILLE BELLAIGUE.