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intransigeant, mon voisin de stalle il y a quelques semaine ? , croyait découvrir et daignait presque admirer.

Ah ! la formel la forme ! ancienne ou nouvelle ! celle-ci est de tous les temps. La voilà ! la musique suggestive, selon l’expression moderne, celle qui dit peu et fait penser beaucoup. L’effet du troisième acte du Pré aux Clercs égale les plus grands effets de la musique dramatique. Et par quels moyens ? un chœur, un trio, un petit quatuor, une horloge qui sonne et un chant d’altos accompagnant le passage d’une barque sur une rivière. Quelle silhouette du vieux Paris, non-seulement dans ce décor, sur cette toile de fond, mais surtout dans cette musique ! Quelle résurrection d’une époque où l’on venait se couper la gorge, le soir, au bord d’un fleuve habitué à charrier des cadavres et à rouler du sang ! Le trio du duel n’est qu’un éclair de haine et de fureur. Comminge et Mergy n’ont pas l’air de chanter, mais d’agir et de vivre en musique, ils sortent, l’épée à la main, et le chœur des archers commence, rythmé avec une rondeur un peu brutale que la sonorité rauque des altos fait paraître sinistre. Indifférens au meurtre qui va se commettre, les archers fredonnent en jouant aux dés. Des couples traversent le fond du théâtre pour aller danser à la noce de Girot et de Nicette, et la ritournelle qui les accompagne, en dépit de son allure pimpante, — peut-être par cette allure même, — redouble l’effroi de la scène et s’encadre à merveille entre les deux couplets de l’impassible chanson. Le moindre détail de cet acte est inestimable, fût-ce le court dialogue où se règle d’avance, à voix basse et comme honteuse, l’enlèvement du mort que tout à l’heure Comminge laissera sur le gazon. Nous ferons comme à l’ordinaire, dit froidement l’un des soldats sur un ton qui fait presque frissonner. Huit heures sonnent, et la reine, Isabelle, Nicette et Girot sortent de la chapelle. Le tintement de l’horloge dans la nuit jette encore une note d’inquiétude et d’épouvante. Le quatuor qui suit est tremblant ; il a peur : les voix murmurent seulement, osant à peine s’éloigner les unes des autres. Dans l’humble ensemble repris deux fois, et la seconde fois avec un accompagnement sinueux, étouffé par les sourdines, toutes les craintes, toutes les angoisses se devinent ; toutes, jusqu’à la mélancolie de la pauvre petite reine, jusqu’à l’effroi mystérieux de la ville, cachant sous les brouillards de la nuit les querelles et la mort de ses enfans.

De nouveau les altos grondent ; les archets lourds pèsent sur les cordes, qu’à chaque mesure ils semblent vouloir écraser, pour en étouffer la plainte irritée et douloureuse. Une barque descend au fil de l’eau et s’arrête sous un rayon de lune ; Isabelle, la reine, Nicette et Girot, encore en habits de fête, entrevoient un corps en travers du bateau. Alors, pour la première fois, le joyeux cabaretier cesse de