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musique et la mauvaise. Voilà la vraie et la seule distinction. Quel chef-d’œuvre d’aujourd’hui nuit aux chefs-d’œuvre d’il y a cinquante ans ? On ne nous accusera pas de tiédeur pour le Roi d’Ys ; nous l’avons réentendu bien des fois, et nous le réentendrons encore. Mais notre admiration pour l’œuvre de M. Lalo ne nous a pas empêché d’écouter récemment avec une admiration pareille et la Dame blanche et le Pré aux Clercs, remontés avec grand soin par M. Paravey. Hérold, Boieldieu sont plus vieux, je pense, que M. Litolff lui-même. La Dame blanche, le Pré aux Clercs sont jetés dans ces moules qu’on déclare aujourd’hui hors d’usage. L’une et l’autre vivent encore pourtant, et nous qui, l’autre jour, avons ri de la belle Coriandre, de René de Tremaria et de Catherine de Médicis, loin de rire d’Isabelle, de Mergy et de la reine Margot, nous sommes quelquefois tout près d’en pleurer. Non, non, les moules ne sont pas usés, mais on n’a plus de quoi les remplir. Viennent seulement des peintres qui sachent faire des tableaux ; les vieux cadres pourront servir encore et paraîtront rajeunis.

De l’Escadron volant de la reine, la caricature, passons pour un instant au modèle, au Pré aux Clercs, dont l’ouvrage de M. Litolff a éveillé chez tout le monde le souvenir et le regret. Ce chef-d’œuvre est de ceux auxquels de temps en temps il est bon de revenir. Sous prétexte de marcher toujours en avant, gardons-nous d’être ingrats, et de ne plus jamais regarder en arrière.

A l’audition du Pré aux Clercs, et par contraste avec l’Escadron volant, deux choses surtout nous frappent : la portée profonde des effets, puissans ou gracieux, et la sobriété des moyens employés à les produire. La musique de M. Litolff ne laisse aucune impression, ni des personnages, ni de l’époque qu’elle prétend représenter. MM. de Tremaria et de Penhoë pourraient tout aussi bien s’appeler Colladan et Cordenbois, et soupirer leurs romances à des demoiselles de La Ferté-sous-Jouarre. Quant à Catherine de Médicis, elle a beau chanter sa haine contre les Guise et nous entretenir de ses desseins politiques, elle a l’air d’une femme de chambre affectée. (Il va sans dire que nous accusons la musique seulement.) Pas plus que dans les nombreux duos ou trios de cette longue partition, il n’y a d’expression dans les récitatifs, tous incolores ou mal venus. Chaque phrase, chaque note des personnages jure avec leur costume, avec leur nom ambitieux, et cette contradiction finit par tourner au comique.

Hérold, au contraire, a merveilleusement assorti sa musique au caractère et à l’aspect extérieur de ceux qui la chantent. Toutes les figures du Pré aux Clercs sont vivantes et pour ainsi dire ressemblantes ; esquissées parfois d’un trait, mais qui suffit. En somme, la partition du Pré aux Clercs est très courte, mais très substantielle. Le rôle de Mergy se compose d’un air au premier acte, d’un grand récit