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LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

doit l’être. Avec cela, tu as un cœur brave, doux, modeste, un cœur d’enfant. Et, cependant, tu veux me quitter. Pourquoi ? Parce que je suis riche et que tu ne veux rien me devoir, pas même un intérieur agréable. Si tu retournes dans une chambre sans confort, où résonne le vide et où règne la tristesse avec la solitude, tu deviendras de nouveau nerveux, malade.

Père Irnerius m’a donné tout ce qu’il possédait. J’en puis disposer de la manière qui me conviendra. Eh bien ! je te le donne. Si tu me refuses, je pars, et m’en vais mourir ailleurs. Tu resteras seul ici.

Tais-toi ; c’est entendu maintenant, c’est moi qui suis pauvre. Est-ce que je puis rester encore un peu ? Tu es bien obligé de dire oui à ton tour. Je te l’ai bien permis, moi, quand tu me l’as demandé.

Ou bien veux-tu que je devienne ta femme ? Tais-toi encore, cher grand enfant. Tu n’aurais pas voulu être mon mari, parce que j’étais riche ; tu ne peux plus refuser, maintenant que je suis pauvre et que c’est moi qui reçois. Tu vas me faire riche, parce que je ne peux plus exister sans toi, parce que je t’aime de tout mon cœur !

Les beaux yeux d’Angélina, jusqu’alors si brillans, se remplirent de larmes ; son joli visage, habituellement si résolu, se pencha, tout en rougissant, sur ma poitrine ; et ses petites mains, ordinairement si calmes, se placèrent tremblantes sur ses yeux baissés.

Il me fut impossible de répondre, je serrai ma chère petite fiancée sur mon cœur débordant de joie.

Un peu remis de mon trouble, je m’agenouillai devant la charmante Angélina, et, riant et pleurant à la fois, je lui dis d’une voix brisée :

— Je t’aimais déjà quand je ne te connaissais pas et ne te désirais qu’en rêve. Depuis que je t’ai vue, je t’ai aimée à tous les instans de ma vie, que tu es venue transformer et embellir. Et si je t’avais quittée, je t’aurais toujours aimée, toujours ! toujours !

— Je le sais, dit-elle en souriant.

Emilio Vagano.


(Traduit de l’allemand.)