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LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

sin. La veille, nous étions encore des étrangers l’un pour l’autre. Je lui tendis la main et lui dis d’une voix tremblante, — au premier instant, je me sentis si confus, si timide, que c’était elle qui aurait pu être ma protectrice : — Bonjour, ma cousine. As-tu eu tout ce dont tu avais besoin pour ta toilette ? Demande à la vieille Lise d’aller chercher tout ce qu’il te faut pour te rendre la maison agréable. Je n’y entends rien. Je suis un vieux célibataire inutile, et j’ai vécu toujours seul.

Elle m’indiqua du doigt une chaise près de la fenêtre, vis-à-vis d’elle, et dit en souriant :

— Je te remercie, mon cousin, je n’ai besoin de rien. Envoie chercher seulement mes bagages au bureau de la diligence. Ensuite la vieille Lise me trouvera une jeune fille pour me tenir compagnie. Je n’ai jamais été seule ; maman m’a bien gâtée. Mais il faut se faire à tout.

— Oui ; et me permettras-tu, ma cousine, de rester encore quelques jours chez toi ? lui demandai-je lorsqu’elle se tut et se mit à réfléchir un peu. Elle rougit et me regarda d’un air étonné.

— Rester chez moi ? Mais où veux-tu donc aller ?

— Eh bien, retourner chez moi.

— Tu as donc un autre chez toi ?

— Oui,… non… Je veux dire que je vais retourner à Heidelberg, où je demeurais autrefois seul.

— Oh ! dit-elle vivement, et elle se tut un instant. — Tu ne vas pas t’en aller comme cela, mon cousin, reprit-elle ; quelle mouche t’a piqué ? Il me faut quelqu’un qui me dise ce que je possède, comment je dois vivre, et ce que j’ai à faire de tout cela. Je ne connais personne ici, et je ne puis me passer de toute société. Promets-moi, mon cousin, de rester encore ici. Réfléchis que je… que je n’ai plus personne que toi.

Je baissai la tête. Sans me donner le temps de répondre, elle continua :

— Mais comme nous ne pourrions décemment vivre seuls dans cette maison, quoique tu sois mon parent, je vais écrire aujourd’hui à Mme Latour, une vieille dame de Genève qui m’a élevée, et qui a dû nous quitter lorsque nous étions dans la misère. Elle vit actuellement chez son neveu, marié à Vevey. Elle m’aime beaucoup, et elle viendra volontiers. Alors, personne n’aura rien à dire. J’espère que tu vas me seconder dans toutes mes intentions, et que tu ne m’abandonneras pas ainsi lorsque j’ai besoin de tes conseils.

— Vous avez donc été dans la misère, ma cousine ?

— Oui, Maman avait perdu sa belle voix, et je restai malade