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LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

— Je le sais.

— Ma mère l’a abandonné en m’emmenant, quand j’étais encore enfant. Elle est morte, il y a trois semaines. Étendue sur son lit de mort, elle m’a confessé toute sa vie, et elle a reconnu ses torts. Elle savait que je n’aimais pas le théâtre, auquel elle m’avait destinée. Et elle m’a fait la confession de sa faute, afin que je puisse retourner auprès de mon père et vivre avec lui. Son souvenir et sa confiance en lui ont adouci sa mort douloureuse. Me trouvant alors seule au monde, je suis venue ici, près de l’unique foyer qui s’offrait à moi, et où j’espérais retrouver mon père. Je suis arrivée écœurée, découragée, anxieuse. C’est pourquoi j’ai pleuré, mais maintenant je suis tranquille. Où est mon père ? Reviendra-t-il ? Dois-je le chercher ? Et où le trouverai-je ? S’est-il enfui pour ne pas nous revoir ? Me haïrait-il à cause de ma mère ? S’il en était ainsi, je retournerais d’où je viens et je resterais cantatrice. Si je n’ai plus mon père, je possède une grande volonté et de l’énergie. En arrivant ici, j’étais folle ; mais j’ai retrouvé mon calme. Je désire surtout que vous ne me preniez pas pour une enfant. Parlez maintenant.

Et je voyais de nouveau cette figure mignonne, orgueilleuse comme une Méridionale, me regardant gravement d’un très grand air.

— Où est mon père ? demanda-t-elle encore.

Je tenais toujours les papiers dans ma main.

— Ceci n’est pas une lettre, lui dis-je, c’est un testament.

Elle se dressa en sursaut. Puis, elle se rassit, sa petite tête retomba sur sa poitrine, ses mains se levèrent, et je crus qu’elle allait pleurer de nouveau. Mais elle était seulement saisie ; elle ne pleura pas.

— Et ce testament, continuai-je, ne parle que de vous. Ces papiers contiennent les titres et les droits de toute la fortune de votre père, et cette fortune est à vous. Cette vieille maison, ce foyer paisible, vous appartiennent. Vous êtes riche, vous avez un chez vous. C’est à moi qu’il a confié tout cela, parce que j’étais son unique parent, parce qu’il m’a jugé digne de sa confiance, et aussi parce que je suis votre cousin, mademoiselle Angélina. Cette confiance, c’est surtout en souvenir de mon pauvre père qu’il me l’a accordée, car il l’aimait autant qu’il l’estimait pour la droiture de son caractère et sa grande loyauté. Confiez-vous à moi comme l’a fait votre père. Vous êtes troublée, inquiète. Réfléchissez ; je vais vous laisser seule. Vous avez du feu, des rafraîchissemens, et un très bon lit. Je vous quitte. Lisez cette lettre et reposez-vous ensuite.