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Elle s’était arrêtée près de la porte et m’avait regardé d’un air ferme et interrogateur, comme elle l’avait fait déjà au moment de monter l’escalier, puis elle m’avait dit :

— Apprenez-moi maintenant ce dont vous a chargé le docteur Irnerius.

— Pour le moment, lui répondis-je en quittant son bras, je ne saurais rien encore vous apprendre. Il me faut d’abord lire une lettre que M. Irnerius m’a remise en partant, et qui, seule, doit me faire connaître la mission que je vais avoir à remplir. Ne vous étonnez de rien et fiez-vous à moi.

Ses traits s’étaient détendus, sa figure avait pris une expression alanguie, elle avait maintenant l’air très doux. C’était vraiment la ressemblance vivante du portrait.

— Rien ne peut m’étonner de ce qui vient de la part du docteur Irnerius, dit-elle avec un soupir. Je suis sa fille et j’ai confiance en vous.

En même temps, elle me regardait d’un air candide et plein de loyauté.

— Vous avez froid et vous êtes fatiguée, lui dis-je, veuillez vous asseoir près du feu, et permettez-moi de m’acquitter de ma mission pendant que vous allez vous réchauffer et vous reposer.

Elle dégrafa sa pelisse et la laissa glisser sur une chaise. Une taille svelte de fée, dans une simple robe grise de voyage, se dessina devant moi. Sa chevelure dorée se déroula sur ses épaules en boucles claires, soyeuses et légères comme un duvet.

J’ouvris la petite porte du poêle, afin que la lueur et le pétillement du feu l’égayassent davantage. J’approchai le grand fauteuil, et plaçai une bougie sur une petite table près du poêle ; puis, j’allai prendre dans un placard une bouteille de vieux vin et un verre que je remplis. Ensuite, je lui tendis la main, qu’elle accepta. Mais elle restait debout.

— Encore un mot, monsieur Erwin, dit-elle. Mon père n’est plus ici. La maison m’est devenue étrangère. Est-ce que vous avez une domestique ? Cela me permettrait de passer la nuit ici. Je suis seule et comme une étrangère dans cette ville, sans amis et sans connaissances. Ce soir, je suis arrivée par la diligence, et mes bagages sont restés au bureau. Je comptais séjourner ici ; est-ce que ce sera possible, au moins jusqu’à demain matin ?

— Cette pièce est bien chauffée, de même que la chambre à coucher. Elles sont à vous. J’éveillerai la vieille Lise. Je n’ai pas encore eu le temps d’y penser. Mais je suis d’avis de lire, avant tout, la lettre. Asseyez-vous sur ce fauteuil. Chauffez-vous, mademoiselle Angélina, prenez une goutte de vin. Voulez-vous ?

— Oui, dit-elle.