Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

Pendant le repas, je regardais les murs. Il y avait un petit orgue dans un coin, et, à côté, un porte-violons où trois violons étaient accrochés.

Un seul tableau était appendu au mur, — juste au-dessus du lit du vieillard. C’était un portrait de femme, une tête étrange, aux cheveux poudrés, la tête seulement, sans gorge, sans buste, tranchée juste au-dessous du menton, et se dessinant sur un fond brun d’une teinte monotone. Un toupet poudré sur une figure, rien de plus ; une figure belle et triste, avec des yeux légèrement rougis. Un tableau, en un mot, très singulier.

Je dormis dans une grande chambre, garnie de vieux meubles, passés de mode, avec tout le confort du dernier siècle.

Le lendemain, dans la matinée, le vieux Franz m’apporta tout ce qu’il me fallait pour ma toilette. Après quoi, je ne vis personne jusqu’au dîner. Je n’entendais, de temps à autre, que les pas lourds du vieux domestique.

Mes malles étaient arrivées sans la moindre avarie. Je rangeai mes vêtemens dans l’armoire et parcourus quelques livres qui se trouvaient sur le rayon de ma chambre. Je disposai ensuite du papier pour mes études et pour mes travaux en cours, le Protée, la Contrainte infernale, et les notes sur Marguerite Hämmerling.

À midi, Franz vint me prier de descendre pour le dîner. Nous prîmes de nouveau notre repas dans la chambre de mon oncle. Quand il fut achevé, je me disposai à me retirer dans ma chambre, mais mon oncle m’invita à rester. Je pris une chaise et allai m’asseoir à côté de son fauteuil, un véritable fauteuil de grand-père. Le vieillard releva péniblement la tête et dirigea vers moi ses yeux sombres, presque éteints. Il étendit lentement le bras, plaça sur le mien sa main amaigrie, et me dit :

— Écoute, tu as bien fait de venir tout de suite, car je suis pressé.

— Pourquoi pressé, mon oncle ?

— Ne vois-tu pas que je nie meurs ?

— Oh ! mon oncle !

— Bien, bien, n’aie pas peur. Je suis très âgé. La mort s’est fait attendre longtemps. J’ai langui après elle comme après une compagne dont on a besoin pour faire le dernier pèlerinage. Mais c’est aujourd’hui que nous devons en finir, ou bien il sera trop tard.

Je ne comprenais pas. Je regardais dehors. Il faisait du soleil, mais les vitres ternes ne laissaient entrer qu’un demi-jour.

— Oui, oui. Ne m’interromps pas. Tu auras bien le temps de t’étonner quand je serai parti, et c’est pour aujourd’hui.

— Partir ? aujourd’hui ? mon oncle.