- « Mon neveu Erwin,
« J’ai vieilli et je vais mourir. Je désire que tu viennes me voir, car j’ai à te parler. Je sais que tu es seul et libre. Quitte ton appartement, et apporte avec toi tout ce que tu as, car je veux que tu restes chez moi quelque temps.
Je pouvais passer mon temps à rêver aux dossiers des manches à balais aussi bien à Worms qu’ici. Et puis, j’avais été élevé dans le respect de la famille. L’oncle Irnerius était pour moi une puissance légitime, qui remplaçait celle de mon cher père. Ensuite, j’étais vraiment seul et absolument libre.
Je donnai congé de mon appartement, empaquetai tout ce que je possédais, et envoyai le tout à Worms, après quoi je fis mes adieux à mon propriétaire. C’était pendant l’été, et les rosiers étaient en fleurs. J’en profitai pour faire le voyage à pied. Je traversai des plaines riantes et gravis des coteaux verts plantés de vignes. Des flèches de clochers brillaient à travers cette verdure.
Quand, à midi, le soleil dardait ses rayons, je me couchais dans les ombres de la forêt, où les rayons du soleil tamisés par le vert feuillage dansaient follement sur le sol fleuri. Ou bien j’allais m’asseoir dans des buvettes fraîches, complètement à l’abri de la chaleur, où l’on voyait des bouquets de fleurs artificielles sous des verres bombés, et où bourdonnait à la fenêtre ouverte toute une armée de mouches estivales.
Que la nature est belle ! Alors, je ne voyais plus de « physionomies » autres que celles d’enfans gentilles et charmantes qui me regardaient timidement quand je passais, et qui cachaient leurs grands yeux derrière leurs mains quand je les abordais.
Parfois, la contrée devenait plus rude, plus triste, plus monotone et déserte, et il se levait des jours mornes, pluvieux, sans éclat. Alors, un ciel gris, monotone, sombre, m’oppressait l’âme ; les pins, aux bords de la route, bruissaient sous les rafales de vent, et le beau temps me semblait disparu pour toujours.
Je fus bien heureux quand, un soir, j’aperçus enfin les tours de Worms. À cette heure, l’atmosphère épaisse et grise, qui s’abaissait sur toute la contrée, pesait en même temps sur le cœur.
En passant devant une scierie où les lourds troncs de chênes étaient soulevés avec un bruit sourd par des chaînes solides, je fus rejoint par un ouvrier qui sortait de cet établissement pour se rendre à la