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Indes à l’aller comme au retour. Des cassettes en bois léger, d’une forme inégale, renfermant des monnaies d’or ou d’argent ou des objets de grande valeur, étaient mises sur le dos de centaines de chameaux, qui, à la file indienne, lentement, sous la garde d’un ou deux chameliers, accomplissaient régulièrement leurs voyages sans que jamais une fraude, un détournement quelconque aient été constatés. J’avoue que cela n’a jamais été sans étonnement que, dans mon parcours de l’isthme, j’ai rencontré ces longues caravanes qui, sous la garde d’un seul homme, et cet homme sous la seule garde d’Allah, conduisaient, les pieds dans la poussière, la tête sous un ciel de feu et toujours chantonnant une mélodie arabe, les richesses d’Europe ou d’Asie. Comme le fait remarquer avec beaucoup de justesse M. A. Doinet, le patient auteur du Recensement général de l’Égypte, l’esprit de mobilité qui distingue la race bédouine, les sentimens de fierté qui l’animent, retarderont encore sa complète assimilation, mais les résultats déjà obtenus dans cette voie sont considérables. Le temps les complétera. Je reviens à l’armée.

Depuis la débandade de Tel-el-Kebir, le massacre des soldats du général Hicks, la prise de Khartoum et autres actions de guerre malheureuses, la confiance que l’armée indigène avait dans ses forces s’est amoindrie considérablement, et c’est même aux Anglais que l’Égypte en est redevable. N’est-ce pas les mains liées que les hommes qui devaient composer l’armée de Hicks furent embarqués sur le Nil, et débarqués comme sur les quais d’un abattoir, non loin des lieux où ils devaient être massacrés jusqu’au dernier[1] ? J’ai cependant la conviction que le soldat égyptien a les mêmes vertus militaires qu’il avait lorsque, sous Méhémet-Ali et ses descendans, il se battait en Syrie et au Soudan. Mais il n’a plus les mêmes chefs, les chefs de sa religion et de son choix. Ce qui le paralyse, c’est de ne plus Voir un de ses princes à sa tête, d’y trouver des chrétiens, des étrangers, qu’au point de vue religieux il considère sincèrement comme lui étant inférieurs. Je passe à l’armée étrangère d’occupation.

Il n’y avait plus guère en Égypte lorsque je m’y trouvais que 4,000 hommes de troupes anglaises réunies sur deux points, Alexandrie et le Caire. La garnison d’Alexandrie comprenait 1er bataillon d’infanterie et une demi-batterie d’artillerie, ce qui serait bien peu, en vérité, pour une ville de 201,000 habitans, si la composition de

  1. < Lorsque votre Seigneurie est allée au Caire, a-t-elle été instruite de la façon dont on a recruté l’armée du général Hicks ? A-t-elle su que des fellahs, arrachés de force à leurs cabanes et amenés enchaînés au Caire, ont seuls constitué loi troupes envoyées contre le mâhdi ? (Journal de Gordon, p. 205.)