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degré l’autorité de Méhémet-Ali, alors vice-roi, que celui-ci, les ayant réunis ; le 1er mars 1811, dans la grande cour de la citadelle du Caire, sous le prétexte d’une fête à célébrer, il les fit tous tuer par des soldats albanais embusqués aux meurtrières.

Méhémet-Ali, dès l’année 1820, ainsi que je l’ai dit, avait élevé l’effectif de son armée à 24,000 hommes. En 1839, lors de la campagne de Syrie ; elle était forte de 130,000 combattans, soutenue par un corps auxiliaire de 100,000 soldats. Sur l’ordre du sultan, en 1841, elle descendait au chiffre de 18,000.

De Méhémet-Ali jusqu’à l’avènement d’Ismaïl-Pacha, elle déclina encore. Elle se releva sous ce vice-roi, qui, au début de son avènement, avait rêvé de marcher sur les traces glorieuses de son aïeul, mais sans pouvoir y réussir.

Quant au khédive actuel, le vide effroyable qu’il a trouvé dans les caisses égyptiennes lorsqu’il a été appelé à régner l’a contraint non-seulement à retarder indéfiniment le relèvement des fortifications d’Alexandrie, l’amélioration de l’armement de son armée, mais encore à réduire le chiffre de celle-ci à 9,000 soldats. Ce qu’il y a de grave, c’est que cette réduction l’a contraint à se défaire de vieux et excellens serviteurs.

Malgré tout, l’armée égyptienne, telle qu’elle était lorsque Arabi la fit se soulever ; eût causé de sérieux ennuis et des pertes graves aux Anglais, si son chef ne s’était laissé corrompre, et n’avait donné l’exemple de la plus grande incurie et de la plus abjecte trahison.

Après la révolte de ses troupes, le khédive dut procéder à leur licenciement, et c’est alors qu’on vit l’état-major anglais se substituer sans gêne à l’état-major égyptien, puis s’offrir pour constituer un semblant d’armée. Il est des offres qui sont des ordres déguisés ; le khédive accepta, et il se produisit cette chose pénible : de vieux officiers égyptiens contraints de céder la place à des lieutenans imberbes de l’armée britannique, bombardés à cet effet et d’emblée majors, colonels et généraux.

Qu’en pensèrent ceux que l’on éloignait si injustement ? On le saura plus tard, si, comme on me l’a dit souvent en Égypte, Dieu est grand et venge un jour les opprimés.

Aux théories militaires très douces, très en rapport avec le caractère enfantin des conscrits égyptiens, succédèrent les brutales disciplines, les raideurs bien connues des théories britanniques. Naturellement, on changea les uniformes : la botte du cavalier fut remplacée par la guêtre, et l’on vit des bataillons de nègres quitter leurs costumes légers pour se transformer en Espagnols d’opérette que commandaient des jeunes gens blonds roses et sans barbe.

Les Anglais s’aperçurent bientôt, mais trop tard pour réparer