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Depuis le vice-roi Saïd-Pacha, la culture du riz est absolument libre. Elle ne se fait sur une grande échelle que dans trois provinces de la Basse-Égypte : Beherali, Gharbieh et Dakarlieh. Les terrains y sont très favorables aux irrigations. C’est la Turquie et les possessions anglaises de la Méditerranée qui achètent les riz d’Égypte, à l’exception de ceux qui sont consommés sur place. Le dattier, qui rapporte 20 francs par an à son propriétaire, est l’arbre par excellence : s’il procure une nourriture assurée et la richesse à l’Arabe, la Haute Égypte lui doit sa poésie. J’en appelle aux touristes qui, du pont d’une dahabieh, cette mouette du Nil, ont vu les massifs de dattiers qui, de Gizeh à Philœ, émergent des rives. C’est au moment où le fleuve couvre d’immenses étendues, à un lever ou à un coucher du soleil, par un horizon embrasé, qu’il faut les Voir reflétant dans le Nil leur tronc élancé et leur ramure sombre.

Depuis trois ans, on exécute des travaux d’art dans la Basse-Égypte, afin de procurer aux terrains du Delta une juste répartition des eaux et rendre leur primitive valeur à des terres tombées très bas. On y a consacré 25 millions. Combien cela paraît insuffisant ! Admettons que ces travaux soient terminés ; les canaux d’alimentation reçoivent l’eau du fleuve, les canaux secondaires sont munis à leur entrée de porte-barrages ou de régulateurs qui permettent d’amener d’une manière constante, mathématique, l’eau du Nil dans les artères qui sillonnent les provinces. Tout marche à souhait, mais pour combien de temps ? A-t-on réfléchi que ce n’était pas seulement dans la Basse-Égypte que l’attention des ingénieurs devait se porter ? Certes, il y a beaucoup à faire, mais le danger le plus proche, le plus redoutable, n’est pas seulement en aval du Caire, mais bien aussi en amont.

Il est un fait certain : le Nil devient d’année en année plus torrentiel, obéissant en cela à une loi commune à tous les fleuves, à toutes les rivières, et qui est de régulariser leur cours en détruisant les obstacles qui le contrarient. Or, les obstacles que le Nil abaisse lentement, mais sûrement, d’année en année, sont les cataractes, qui forment de Berber à Assouan autant de bassins et de réservoirs. Un des rois Aménophis fit graver à Semneh, dans le roc, les diverses hauteurs que le fleuve atteignait sous son règne, et qui sont visibles encore aujourd’hui. Le niveau des hautes eaux était alors de 8 mètres supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Plus au nord, entre Wadi Halfa et Assouan, existaient des cataractes qui ont disparu et dont le rapide de Debeyra rappelle la situation. Il est à peu près certain qu’au temps où existaient ces barrages : naturels, de vastes étendues de terres, aujourd’hui stériles, étaient arrosées et fertilisées par les eaux du Nil ; elles s’étendaient sur une