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Kababiches, continuant leur rôle de traîtres et de pillards, massacrèrent bateliers et chameliers, et volèrent les convois.

Les Anglais, qui ne pouvaient se décider à abandonner le Soudan, quoiqu’ils eussent conseillé aux Égyptiens de le faire, résolurent de tenter un nouvel effort pour le garder, et c’est à Souakim, sur les rives de la Mer-Rouge, que se fit l’essai. Il s’y trouvait déjà un énorme matériel de chemin de fer, destiné à relier Souakim à Berber et Berber à Khartoum. C’était beaucoup de prévoyance et se préparer de loin à la conquête de l’Afrique nord-orientale, mais on ne prévoit pas tout. Les ingénieurs anglais ne s’étaient jamais aperçus qu’il y avait, comme à Panama, à quelques kilomètres de la mer, une montagne à percer, et que son percement coûterait des milliers de vies et des millions de livres sterling.

Les Anglais firent alors dire aux gens du Soudan que, puisque l’Egypte leur était fermée, ils n’avaient qu’à venir à Souakim et à Massaouah, où ils trouveraient de l’argent à gagner : à Souakim, par des travaux à exécuter pour l’établissement d’un chemin de fer ; à Massaouah, par des échanges avec les représentans d’un peuple nouveau dans ces parages et qu’ils y avaient conduits au plus grand profit des Africains. Les Soudaniens accoururent, mais armés, ayant Osman-Digma à leur tête, et le seul échange qui fut fait fut celui de coups de fusil. Les Anglais, bien dégoûtés cette fois, se retirèrent, laissant les Italiens à Massaouah, et les égyptiens à Souakim, en y abandonnant leur matériel de chemin de fer. Les Arabes en ont fait des armes et les femmes des ustensiles pour cuire leur doura.

Au Caire, on s’aperçut un jour que la possession de Souakim était aussi coûteuse que peu utile ; sans gloire et sans profit à en retirer, elle exigeait chaque année des sacrifices. Le khédive fit donc savoir aux Anglais qu’il avait l’intention de suivre leur exemple en retirant ses troupes de Souakim. Ils lui dirent de n’en rien faire, et même ils y créèrent un nouveau poste dont le titulaire, le major Kitchener, se fit appeler « gouverneur-général de la Mer-Rouge. » Ce major, un vaillant soldat, du reste, prétendait connaître à fond les côtes africaines, et il affirmait à ses compatriotes en garnison au Caire qu’avec des guinées à jeter aux Arabes, aux Bédouins et aux Soudaniens, il en ferait ce qu’il voudrait.

L’essai fut tenté, et, en effet, des Africains de toute sorte accoururent en plus grand nombre que le major n’eût voulu ; ils prêtèrent serment de fidélité autant de fois qu’on le leur demanda, ils empochèrent tout l’argent qu’on leur offrit, ils s’habillèrent de tout ce qu’on leur donna pour se vêtir, puis ils s’enfuirent, mais pour revenir faire le siège de Souakim du côté de la terre. Le