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en effet, le général Hicks avait payé chèrement son imprudence. Il avait été massacré, ainsi que son armée, sans qu’un des siens échappât pour raconter le terrible drame[1].

On suppose que le général avait conduit son armée, épuisée par les fatigues, à moitié morte de soif et de faim, au fond de l’un de ces entonnoirs que l’on trouve fréquemment dans les parties montagneuses du Kordofan. Il a dû s’y voir enveloppé par un ennemi qui, après l’avoir fusillé à sa guise, est descendu l’achever dans la plaine. Les Soudaniens n’ont fait aucune grâce aux Anglais, tout simplement parce qu’ils étaient Anglais ; et les Égyptiens ont eu le même sort parce que, musulmans, ils servaient des chrétiens. Nous sommes loin des paroles de charité et de fraternité qui figuraient dans la proclamation du mâhdi lors de son entrée triomphale à Obeïd[2].

En Angleterre, on appelle cette terrible journée le désastre de Hahsgate ; je ne sais pourquoi, car ce nom, qui ne peut être que celui d’une localité, ne figure sur aucune carte. C’est ce désastre qui fut suivi d’actions moins importantes, mais tout aussi sanglantes, qui inspira à Gordon ces réflexions : « Lorsqu’on songe, dit-il dans son journal, à l’énorme dépense de vies humaines qui a été faite au Soudan depuis 1880, on ne peut s’empêcher de vouloir mal de mort à sir Charles Colvin[3], à sir Edward Malet et à sir Charles Dilke, car c’est à ces trois hommes, les conseillers, en cette affaire, du gouvernement de Sa Majesté, que toutes ces calamités sont dues[4]. »

En décembre 1884, quatorze mois après Hahsgate, Khartoum, la capitale du Soudan, tombait elle-même aux mains du mâhdi et de ses partisans ; Gordon était tué, probablement sans daigner se défendre, et le khédive perdait peut-être pour toujours l’un des plus beaux fleurons de sa couronne khédiviale.

  1. On a assuré depuis qu’un des Européens attachés à l’expédition avait survécu, et qu’il était entré au service du mâhdi. Ce serait un nommé Adolphe Klootz, ancien sous-officier des uhlans prussiens, et qui, en qualité d’ordonnance, accompagnait le major von Sockendorf. Cet homme avait déserté trois jours avant la lutte suprême, et l’on a tout lieu de croire qu’il commandait l’artillerie des insurgés pendant le combat du dernier jour de la campagne.
  2. La dernière dépêche du général Hicks, reçue au Caire, portait la date du 3 octobre 1883. Il y expliquait les causes qui lui avaient fait renoncer à se ménager des communications avec le fleuve, et à s’assurer ainsi une ligne de retraite.
  3. Conseiller financier du gouvernement égyptien, prédécesseur de M. Edgar Vincent.
  4. Indépendamment du corps d’armée, évalué par les uns à 7,000, et par d’autres à 8,000 hommes, il périt à Hahsgate 4,000 chameliers, 7,000 chameaux et 2,000 chevaux. Un million de cartouches, 29 pièces de montagne approvisionnées de 500 coups de canon et une grande quantité de fusils tombèrent au pouvoir de l’ennemi.