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politique d’Auguste d’avoir fait croire que la république aboutissait à l’empire. Prudence ajoute un anneau à cette chaîne : il présente le christianisme comme le dernier terme et le couronnement de toute l’histoire romaine.

Dès lors, toutes les causes de dissentiment entre le christianisme et Rome sont supprimées, et l’on comprend que l’église prenne le plus vif intérêt à la conservation de l’empire. Il était alors très menacé. Ceux des barbares qu’avec une étrange imprévoyance on avait établis dans les provinces comme laboureurs ou soldats, n’étant plus tenus en respect, venaient de se révolter ; les autres, qui ne voyaient plus en face d’eux les légions pour les contenir, avaient passé le Rhin et le Danube et couraient le pays. Le péril fut un moment conjuré par deux victoires : Stilicon repoussa le chef des Goths à Pollentia, et il extermina l’armée de Radagaise près de Florence. Plus l’alerte avait été vive, plus la joie fut grande quand on se crut sauvé. Claudien chanta en vers superbes la défaite d’Alaric :


O celebranda mihi cunctis Pollentia sæclis !
Virtutis fatale solum, memorabile bustum
Barbariæ !


L’enthousiasme de Prudence est plus vif peut-être et plus touchant encore que celui de Claudien. Dans un des plus beaux morceaux qu’il ait écrits, il suppose que Rome prend la parole et s’adresse au vainqueur : « Monte, lui dit-elle, sur ton char de triomphe ; rapporte-moi ces dépouilles reconquises : je t’attends avec le Christ qui t’accompagne. Viens ! Que j’ôte les chaînes de ces troupeaux de captifs. Femmes, jeunes gens, jetez ces entraves usées par une longue servitude. Que le vieillard, oubliant les peines de l’exil, rentre sous le toit de ses pères ; que l’enfant, se jetant dans les bras de sa mère qui lui est rendue, se réjouisse avec elle de voir la honte de l’esclavage effacée de sa maison. Plus de craintes ; nous sommes vainqueurs, nous pouvons nous livrer aux effusions de notre joie. »

Cette joie, on le sait, ne dura guère ; ces belles journées n’eurent pas de lendemain. Après la mort de Stilicon, assassiné par l’ordre de l’empereur, Alaric, que personne ne pouvait plus arrêter, s’empara de Rome et la pilla pendant trois jours. Soyons sûrs que, si Prudence était encore vivant en 410, ce qu’on ignore, il dut être un de ces patriotes que la prise de Rome a frappés au cœur.