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d’enthousiasme ; mais il faut, pour qu’elles reprennent toute leur grandeur, qu’on se remette en présence des événemens qu’elles célèbrent, et qu’on revoie par la pensée les ennemis du dehors vaincus, les hontes de la défaite effacées, la paix du monde rétablie. C’est ce qu’on ne fait pas sans quelque peine, et il faut bien avouer qu’après tant de siècles, quand les passions patriotiques dont elles étaient l’expression se sont éteintes, elles n’ont plus pour nous le même intérêt. Au contraire, cette aimable morale que suggèrent tour à tour au poète les belles journées d’été, lorsqu’il prend le frais à l’ombre du pin et du peuplier, ou les orages de l’automne qui secouent les flots de l’Adriatique, ou les neiges de l’hiver qui couvrent les cimes du Soracte, tout le monde la retrouve dans son cœur ; c’est l’homme même, et les révolutions n’y changent rien. Il est donc naturel qu’on y prenne beaucoup plus de plaisir qu’au reste. Je crois bien que c’est un sentiment de cette nature qui pousse M. Puech à mettre bien au-dessus des hymnes de Prudence les élégies dans lesquelles saint Grégoire a pleuré ses malheurs. Je comprends que, lorsqu’on lit les auteurs d’un autre âge, on les juge par rapport à soi et qu’on goûte surtout chez eux ce qu’on sent au fond de soi-même : or, il est bien sûr que la mélancolie de saint Grégoire a quelquefois des airs assez modernes, et l’on a pu comparer certaines de ses élégies à des méditations de Lamartine ; mais quelque charme qu’on trouve dans la plainte un peu monotone de cette âme douce et mal équilibrée que le hasard de la vie jeta dans des luttes qu’elle n’était pas de force à soutenir, je crois que, si l’on replace les chants de Prudence au milieu des fêtes pour lesquelles ils furent écrits, si on les entoure des émotions qu’ils ont excitées à leur apparition et dont l’écho s’est prolongé pendant tant de siècles, ils paraîtront plus grands et qu’on les admirera davantage.


III

Les poésies dogmatiques de Prudence sont toutes écrites en hexamètres, et elles nous montrent d’abord que l’auteur manie le vieux vers de Lucrèce et de Virgile avec autant d’aisance au moins que les mètres d’Horace. Ce recueil se compose de quatre poèmes d’une assez grande étendue. L’un d’eux, qui s’appelle le combat de l’âme (Psychomachia), représente les vices et les vertus se livrant bataille : la Foi lutte contre l’Idolâtrie, la Pudeur contre la Luxure, la Patience contre la Colère, l’Orgueil contre l’Humilité ; et, après que les vices sont défaits, l’armée des vertus, pour