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pas, comme on pense bien, le mérite seul de ces hymnes qui peut en expliquer le succès : aujourd’hui, nous sommes tentés de les trouver un peu sèches et maigres. Mais il ne convient pas de leur appliquer les règles habituelles de la critique. Elles sont entrées dans la liturgie et font partie des cérémonies de l’église depuis quinze siècles. L’importance qu’elles ont prise dans la vie religieuse de tant de générations ne permet pas de les traiter comme de simples œuvres d’art. Une analyse minutieuse et froide ne pourrait pas rendre compte des effets qu’elles ont produits et qu’elles produisent encore sur ceux qui les regardent comme l’expression de leur foi.

Ce sont évidemment les hymnes de saint Ambroise qui ont donné à Prudence l’idée d’écrire les siennes ; mais le caractère en est tout différent. Nous sommes ici en présence de l’œuvre d’un littérateur véritable, qui écrit pour l’édification et le plaisir du public, et nous avons le droit de la juger d’après les règles de la critique ordinaire.

Prudence nous a laissé deux recueils de poésies lyriques, à chacun desquels il a donné un nom grec. Dans celui qu’il appelle Cathemerinon (chants pour toute la journée), l’imitation de saint Ambroise est visible. Nous avons de l’évêque de Milan une hymne pour le matin, une pour le soir, une autre pour la troisième heure du jour. Le cadre était trouvé ; il ne restait qu’à l’élargir. Prudence s’est contenté de multiplier les hymnes de ce genre ; il en a fait pour le chant du coq et le lever du jour, pour les repas et pour le jeûne, pour le moment où l’on allume les lampes et celui où l’on se met au lit, il en a fait une enfin qui peut se répéter à toutes les heures de la journée (Hymnus omnis horœ)[1]. Et non-seulement il doit à son prédécesseur l’idée première de ses chants, mais, dans l’exécution et le détail, il lui a fait beaucoup d’emprunts. J’ai cité tout à l’heure l’hymne du matin de saint Ambroise ; voici le passage correspondant de celle de Prudence, d’après la traduction élégante qu’en a donnée Racine :


L’oiseau vigilant nous réveille,
Et ses chants redoublés semblent chasser la nuit ;
Jésus se fait entendre à l’âme qui sommeille
Et l’appelle à la vie, où son jour nous conduit.
  1. Il a, dans les dernières hymnes de son recueil, encore plus élargi son cadre. Après en avoir écrit pour les diverses heures du jour, il en compote pour quelques-unes des principales fêtes de l’année. C’est dans celle qui est consacrée à l’Epiphanie que se trouve la célèbre strophe : Salvete flores martyrum, etc., qui est peut-être ce qu’il y a de plus connu dans l’œuvre entière de Prudence.